Elisabeth Guérard, AESTQ
Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke
Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
À travers le monde, un grand nombre d’éducatrices et d’éducateurs, de parents, d’élèves et d’étudiantes et d’étudiants ont été confrontés aux aléas de l’apprentissage à distance à un moment ou un autre de la pandémie de COVID-19, et notamment à un effritement des expériences pratiques en sciences et technologies. Bien que l’importance du volet pratique des sciences et technologies pour générer des apprentissages et susciter la curiosité fasse sans aucun doute consensus, reproduire hors classe ou hors laboratoire les activités expérimentales est bien souvent un défi. On se trouve à l’étroit, le matériel fait défaut, ou encore on manque d’encadrement pour assurer un déroulement sécuritaire. Que faire alors? Bien qu’à l’heure actuelle nous ne disposions pas de suffisamment de recherches pour déterminer quelles sont précisément les stratégies les plus probantes, certains repères pourraient constituer un point de départ raisonnable pour permettre aux élèves ainsi qu’aux étudiantes et aux étudiants de poursuivre leurs apprentissages pratiques même hors du laboratoire.
Beaucoup d’entre nous connaissent le laboratoire comme le lieu principal de la science (Martin, 2005). On peut penser au laboratoire de chimie où Marie Curie a isolé des matières radioactives rares. Il nous vient aussi en tête les laboratoires où Michael Faraday a introduit le concept de lignes de forces magnétiques. Plus près de notre actualité, on peut aussi penser aux laboratoires de Louis Pasteur où a débuté le développement de vaccins contre la rage et l’anthrax. Même notre imaginaire place le laboratoire au centre de la science-fiction, avec comme exemple le laboratoire ultrasecret du Dr Frankenstein où fut créé le célèbre monstre gigantesque et hideux. Or, dans son livre Histoire populaire des sciences, Clifford D. Conner nous rappelle que les sciences et technologies expérimentales ont été, pour une grande part, le fait de gens qui ont expérimenté des hypothèses bien loin des laboratoires. La chimie repose sur les savoirs développés par les mineurs, les forgerons et les potiers de l’Antiquité. Notre agriculture vient des savoirs des Amérindiens précolombiens. De la même façon, ce n’étaient pas des scientifiques, mais bien des métayers qui expérimentaient la culture de nouvelles plantes. Enfin, en médecine, c’est un châtreur de porcs suisse, Jacob Nufer, qui réalisa la première césarienne autour de 1500. Des découvertes majeures, voire capitales, ont émergé bien loin des laboratoires du fait de gens « ordinaires ». La cuisine, le garage ou le balcon de nos élèves et de nos étudiantes et étudiants conviendra donc amplement et pourrait même être le lieu de découvertes inattendues.
Partout à travers le monde, les travaux pratiques sont considérés comme un élément essentiel de l’apprentissage des sciences et technologies, tout comme la discussion est une partie essentielle de l’apprentissage des langues. Ce consensus se retrouve chez le personnel enseignant, les étudiantes et les étudiants, les parents, les employeurs et les scientifiques professionnels qui constatent que les sciences et technologies expérimentales permettent notamment d’apprécier la démarche scientifique, d’améliorer la compréhension des concepts théoriques, de motiver ou d’engager les élèves et de développer des habiletés qui débordent du cadre scientifique, dont la communication et la persévérance. Étonnamment, malgré le pouvoir croissant de la technologie numérique pour simuler le monde réel, la science pratique est toujours aussi appréciée (The Gatsby Charitable Foundation, 2017).
Récemment, la pandémie a grandement augmenté le nombre d’heures que les élèves passent à apprendre en mode virtuel. Cette augmentation risque d’entrainer des répercussions sur la santé mentale et d’affaiblir le sentiment d’appartenance à l’école pour les enfants (Simpson et Knox, 2020). Assurer la continuité pédagogique des activités pratiques en sciences et technologies pourrait contribuer à amoindrir ces impacts néfastes. Une étude pilote a justement révélé que les élèves qui réalisent en famille des expérimentations scientifiques et technologiques à la maison (figure 1) développent un meilleur esprit communautaire, communiquent mieux et se montrent plus enclins à des attitudes de partage (Simpson et Knox, 2020). Plusieurs élèves poursuivent même les activités une fois l’objectif annoncé atteint, utilisant par exemple des matériaux du bac à recyclage pour concevoir des objets techniques de leur propre gré.
Il peut sembler difficile de piloter des activités pratiques hors de l’école ou du laboratoire. Pour nous aider, l’Education Endowment Foundation (2020) propose quelques repères pour mieux se lancer dans l’aventure des sciences et technologies expérimentales « à emporter ». Voici un résumé et une explication des repères les plus importants :
La période de crise sanitaire que nous traversons est particulièrement difficile pour toutes celles et tous ceux qui travaillent en éducation. Les sciences et technologies expérimentales en souffrent peut-être plus sévèrement, car devoir composer avec un environnement sans laboratoire, sans classe ou du moins avec un accès limité à du matériel scientifique peut miner la créativité et offrir moins de flexibilité aux personnes enseignantes (Education Endowment Foundation, 2020). Les élèves peuvent aussi avoir l’impression qu’ils apprendront « moins » ou « moins bien » que s’ils avaient accès à un laboratoire plus traditionnel.
Cependant, en prenant le temps de réfléchir et d’explorer de nouvelles approches, il demeure possible d’offrir aux élèves les activités expérimentales les plus efficaces, engageantes et fréquentes possibles. L’histoire nous montre que les découvertes scientifiques précèdent de beaucoup l’arrivée des laboratoires. On peut certainement s’y plonger quelques instants pour y trouver l’inspiration nécessaire avec nos élèves. En tant qu’éducatrices et éducateurs, nous avons la responsabilité non seulement d’assurer la continuité pédagogique auprès de nos élèves, mais aussi de favoriser leur bien-être psychologique et, peut-être également, d’en tirer des leçons pour l’avenir. En effet, les élèves s’absentent de la classe et du laboratoire pour de nombreuses raisons. Certains passent de longs séjours à l’hôpital, d’autres reçoivent l’éducation à la maison ou bien s’absentent pour accompagner leurs parents à l’étranger. Bien que les expérimentations hors de la classe ou du laboratoire ne puissent pas toujours remplacer les activités pratiques qui se déroulent à l’école, espérons que les quelques repères proposés ici encourageront les personnes enseignantes à élargir leur offre d’activités expérimentales en sciences et technologies pour tous leurs élèves, avec un accès ou non à une classe ou à un laboratoire.
Conner, C. D. (2011). Histoire populaire des sciences. Montreuil : L’Échappée. 560 p.
Education Endowment Foundation. (2020). Guest Blog: 6 approaches schools can use to provide practical science opportunities in this ‘new normal’. https://educationendowmentfoundation.org.uk/news/guest-blog-6-approaches-schools-can-use-to-provide-practical-science-opportunities-in-this-new-normal
The Gatsby Charitable Foundation. (2017). Good Practical Science. Londres, Royaume-Uni.
Martin, O. (2005). Une étude des institutions de la recherche en histoire, philosophie et sociologie des sciences. La revue pour l’histoire du CNRS [en ligne], 13. https://doi.org/10.4000/histoire-cnrs.1614
PBS LearningMedia. (2021a). DC Circuit Builder: Grade 6-12. https://ca.pbslearningmedia.org/resource/arct15-sci-circuitbuilder/dc-circuit-builder/
PBS LearningMedia. (2021b). Melting and Boiling Simulation: Grade 6-12. https://ca.pbslearningmedia.org/resource/arct15-sci-meltingboiling/melting-and-boiling-simulation/
Simpson, A. M. et Knox, P. N. (2020, 13 octobre). Getting kids – and their caregivers – to practice STEM at home. The Conversation. https://theconversation.com/getting-kids-and-their-caregivers-to-practice-stem-at-home-146886