Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
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Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Alexis Legault, étudiant à la maitrise, Kara Edward, étudiante au doctorat et Adolfo Agundez Rodriguez, professeur, Université de Sherbrooke
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
Isabelle Arseneau, doctorante, Université Laval, Audrey Groleau, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières et Chantal Pouliot, Professeure, Université Laval
Maia Morel, professeure agrégée, Université de Sherbrooke et Elizabeth Fafard, étudiante à la maitrise, Université de Sherbrooke
Les changements climatiques touchent l’ensemble des sociétés et modifient les écosystèmes terrestres et marins. Diverses pressions d’origine anthropique, telles que la surexploitation des ressources, l’urbanisation ou encore la pollution, en seraient en partie responsables, causant aussi l’effondrement de la biodiversité (Ceballos et al., 2015; Estrada et al., 2017). Pour faire face à cette problématique, les sociétés portent une grande responsabilité éducative. Les recherches soutiennent que l’éducation a un rôle déterminant à jouer dans l’adaptation au changement global sur les populations et à son atténuation (Kwauk, 2020). Non seulement les niveaux d’éducation sont corrélés à une capacité d’adaptation accrue, mais l’éducation permet également d’accroitre les connaissances, les compétences et les attitudes nécessaires pour amoindrir d’autres dommages environnementaux (Cordero et al., 2020). Alors que nous devrions stimuler le sentiment de pouvoir agir des jeunes face aux enjeux environnementaux, y compris les enjeux touchant certains milieux marins au Québec, la perte de familiarité avec les environnements naturels et leur biodiversité entraine une diminution de la sensibilité environnementale. Cela se traduit par une diminution de l’importance accordée à ces milieux, à la diversité des vivants et du désir de les protéger (Berryman, 2003; Cheval, 2013).
Or il semble que l’éducation à l’environnement telle qu’elle se réalise généralement dans les salles de classe, c’est-à-dire sous la forme transmissive et proposant des comportements prédéterminés, laisse trop souvent les jeunes désespérés et anxieux face à ces problématiques (Morin, 2021). Il apparait notamment nécessaire de proposer un enseignement de ces enjeux en tenant compte des savoirs actuels, tout en considérant la complexité de ces questions environnementales (interdisciplinarité). De surcroit, il est essentiel de prendre aussi en compte la dimension affective et d’offrir des occasions de mises en action ancrées dans le territoire ou, du moins, de pouvoir se projeter dans des actions possibles à partir de solutions nouvelles et réfléchies par l’élève. Comment l’école peut-elle contribuer au développement d’une écocitoyenneté critique, soucieuse de la biodiversité de proximité et désireuse de créer un impact positif sur l’environnement marin? Par exemple, une approche par projets liée à de réelles problématiques est une formule qui contextualise les apprentissages, leur donne du sens et procure un sentiment de fierté aux jeunes qui prennent conscience des effets de leurs actions, tout en vivant une connexion avec la nature en s’y sensibilisant (p. ex. programmes Opération PAJE et GARAF, https://www.garaf.org/a-propos). Au Québec, nous avons la chance d’avoir divers types d’écosystèmes, dont notre grand écosystème marin qu’est notre fleuve Saint-Laurent et qui traverse notre territoire québécois d’ouest en est. Comment sensibiliser nos jeunes au fleuve Saint-Laurent lorsque ce milieu marin est souvent éloigné de nos écoles, de notre environnement de proximité? Afin de répondre à ces finalités et à ces besoins éducatifs, comment pouvons-nous importer « un territoire » dans une classe lorsque les jeunes vivent en milieu urbain ou éloigné du fleuve Saint-Laurent?
C’est dans le cadre d’un projet de recherche-développement que nous avons développé une trousse éducative qui propose aux élèves du 3e cycle du primaire d’explorer le fleuve Saint-Laurent et sa biodiversité. Cette trousse a été réalisée en collaboration avec Technoscience Est-du-Québec (TEQ), d’une équipe de chercheuses et de chercheurs en science humaine et sociale et en science naturelle ainsi qu’avec une équipe de vidéastes, une illustratrice et une graphiste. Ce projet interdisciplinaire a été soutenu par le programme de valorisation de la recherche du Réseau Québec Maritime (RQM).
L’objectif général du projet Mon Saint-Laurent vu du rivage était de contribuer au développement d’une culture maritime au Québec à travers la biodiversité et les habitats en zones côtières et intertidales du Saint-Laurent maritime. C’est par l’entremise de diverses activités en classe que les élèves de 5e et 6e année ont eu l’occasion de vivre les thématiques Le littoral et la dynamique côtière et Biodiversité côtière, du végétal à la faune invertébrée. Cette trousse comprend un guide de l’enseignante et de l’enseignant, une présentation PowerPoint, plusieurs activités de manipulations, des fiches reproductibles, des livrets imagés destinés à l’élève et des capsules vidéos de chercheuses et de chercheurs associés à ces domaines d’expertise.
Afin d’évaluer les retombées éducatives de la trousse par TEQ, les élèves de trois classes du 3e cycle du primaire (écoles en milieu urbain (près du fleuve) et rural (éloigné du fleuve) et leurs enseignantes ont répondu à un questionnaire préactivité (T0) et postactivité (T1). Chez l’élève, nous souhaitions estimer le développement de leur culture maritime, scientifique et plus largement, de la dimension affective, de leur conscientisation à cet environnement marin et de leur sentiment de pouvoir agir. Pour les enseignantes, les questions étaient davantage orientées sur leur pratique enseignante et les retombées observées chez leurs élèves. Nous les invitions à poser un regard professionnel et critique à l’égard des finalités éducatives de la trousse et du matériel (de façon à l’adapter, au besoin).
Développement de la culture maritime et scientifique
Les premiers résultats révèlent que plus de la moitié des élèves (54 %) indiquent connaitre maintenant mieux le fleuve Saint-Laurent, contre 23 % par rapport à la situation initiale (T0). Parmi les élèves, 60 % mentionnent avoir été étonnés de toute la biodiversité vivant au bord des plages et 30 % ont rapporté un peu d’étonnement. Parmi les concepts traités, les préférés des élèves (65 % et +) sont : formation du paysage du littoral, zone de balancement des marées, biodiversité, écosystème, algues et plantes marines. Enfin, 95 % des élèves mentionnent avoir apprécié les livrets et les activités de manipulation proposées dans la trousse.
Concernant les concepts plus précis et liés à la dynamique côtière, une forte majorité des élèves mentionnent être en mesure d’expliquer le phénomène des marées (75 % des élèves) et pourquoi ce phénomène a lieu (92 %), contre 33 % et 53 % au T0. Entre autres, les élèves rapportent avoir apprécié l’utilisation du modèle Terre-Lune-Soleil sous forme cartonnée où se superposent, de façon mobile, le Soleil, les huit phases lunaires, les marées et la Terre. Bien que complexe, ce modèle permet de soutenir de façon plus concrète les explications portant sur les interrelations existantes entre les astres, les phases lunaires, les forces d’attraction et les marées observées sur le littoral. Ici, on peut constater que les activités de la trousse favorisent l’approfondissement de la culture scientifique des élèves, notamment sur ce phénomène complexe et lié à l’univers Terre et espace (eau douce et eau salée, densité de l’eau chaude et froide, les forces d’attraction, les marées).
Sous une approche naturaliste et par manipulation de matériel naturalisé, la trousse a permis de mieux connaitre et d’identifier les petits organismes marins (vers marins, mollusques) ainsi que les végétaux marins (algues et plantes marines). Les élèves évoquent qu’il est intéressant et important d’en parler en classe. Les élèves indiquent, à 95 % (T1) contre 52 % (T0), avoir appris à reconnaitre les différents vivants du milieu marin, notamment les mollusques et les végétaux marins. À la suite des activités, les élèves indiquent mieux apprécier les végétaux marins et qu’ils et elles aimeraient en apprendre encore plus et en prendre soin.
Dimension affective
Le fleuve Saint-Laurent et sa biodiversité sont, de prime abord, appréciés des élèves. Ils et elles indiquent, à des taux similaires, aimer regarder la nature du milieu marin et ses vivants (90 % (T0) et 91 % (T1)). Les trois quarts des élèves se sentent responsables de la protection des animaux et des végétaux marins. De plus, après avoir vécu les activités de la trousse, les élèves mentionnent mieux apprécier les vivants du milieu marin qui peuvent être dégoutants ou faire peur. On observe également qu’entre le T0 et T1, le double des élèves mentionne « J’ai l’impression d’avoir un lien avec la nature du milieu marin ». Bien qu’au départ, les élèves disaient apprécier d’emblée les petits animaux marins et souhaiter en prendre soin, on observe toutefois une augmentation de l’appréciation des végétaux marins et le désir d’en prendre soin.
Conscientisation à l’environnement marin
À un taux similaire entre T0 et T1, 75 % des élèves se disent préoccupés par la qualité des milieux marins. De plus, à un fort taux (98 % (T0) et 96 % (T1)), les élèves mentionnent vouloir faire attention aux petits animaux et végétaux marins. Ces taux similaires et élevés nous laissent penser que les élèves, d’emblée, sont sensibles à ces environnements et souhaitent y contribuer positivement. Concernant la biodiversité et sa vulnérabilité, les élèves démontrent une plus grande variabilité entre le T0 et le T1 pour la biodiversité végétale que celle animale. Pour la biodiversité végétale marine, une forte majorité des élèves indiquent avoir appris comment faire attention aux végétaux marins (93 % des élèves) et qu’ils savaient maintenant quoi faire pour prendre soin de ceux-ci (79 %), comparativement au taux initial de 60 % et de 57 % respectivement.
Une majorité des élèves (75 %) s’accordent pour dire que la diminution de la pollution serait un geste primordial à poser afin de protéger les habitats et les espèces. Pour protéger l’environnement marin, les élèves ont exprimé quelques idées nouvelles, dont celle de laisser les organismes en place (ne pas les ramasser ou les déraciner) et celle de s’informer pour mieux les protéger.
Sentiment de pouvoir agir
Tant au T0 qu’au T1, une majorité d’élèves (91 %) indiquent « Je peux faire la différence sur la nature autour de moi ». À cet égard, 88 % (T0) et 90 % (T1) mentionnent « Je peux participer à créer un environnement propice à la survie des petits animaux ». Enfin, on observe une augmentation positive quant aux capabilités ressenties par les élèves, dont 82 % (T1) indiquent « Je peux faire la différence dans la protection du milieu marin ».
À la question ouverte Les côtes du fleuve Saint-Laurent ont des habitats vulnérables et abritent des organismes vivants parfois menacés. Selon toi, que pourrais-tu faire pour mieux en prendre soin, pour les protéger? L’action citoyenne est évoquée afin de contribuer à mieux protéger les côtes du Saint-Laurent. Des élèves font également référence au bénévolat à réaliser auprès d’organismes de protection, à des moyens de pression pour mieux protéger ces lieux (p. ex. maire, ministre) ou encore à des activités de restauration d’habitats. Des élèves indiquent l’importance d’adopter de meilleures habitudes de vie (p. ex. moins consommer), de demander d’ajouter des poubelles à la plage et de faire du recyclage tout en consommant moins de plastique.
Les enseignantes en bref
Après avoir vécu l’expérience de la trousse Mon Saint-Laurent vu du rivage en classe, les enseignantes s’entendent pour dire que la trousse a permis une certaine prise de conscience et une sensibilisation aux environnements du littoral et une occasion de développer une certaine culture maritime à la fois chez l’élève et pour elles-mêmes. Par l’usage du matériel mis à leur disposition, elles mentionnent en avoir appris davantage sur le sujet. Enfin, les enseignantes ont également relevé un engouement véritable envers les activités de la trousse et un intérêt marqué de la part de leurs élèves.
En raison des changements climatiques et des activités humaines, de grands écosystèmes sont affectés, dont ceux marins. Au Québec, nous avons ce majestueux fleuve Saint-Laurent qui regorge d’une biodiversité unique, un milieu à protéger et à pérenniser pour les générations futures. C’est dans la perspective de contextualiser les apprentissages scientifiques au territoire, ici le fleuve Saint-Laurent, que la trousse éducative a été conçue. Selon les premiers résultats obtenus, la trousse contribue à initier les élèves et les personnes enseignantes à une certaine culture maritime, à travers la dynamique côtière, sa biodiversité et ses habitats. De plus, elle a permis aux élèves de découvrir l’importance des végétaux marins et leur rôle dans les écosystèmes marins et terrestres. Enfin, nous avons porté une attention particulière à développer le matériel pour que les élèves se questionnent sur les enjeux maritimes et se projettent de façon à favoriser la proposition de solutions créatives et innovantes (et non toutes faites). À cet égard, les élèves semblent présenter les prémisses d’un sentiment de pouvoir agir où des propositions d’actions témoignent d’un certain sentiment de capabilité, allant d’actions citoyennes à des actions individuelles pour la collectivité. Ultimement, cette trousse (https://www.technoscience-eq.ca/mon-saint-laurent-vu-du-rivage/) aspire à contribuer au développement d’une culture maritime en classe, en tenant compte de la dimension affective, et au développement du sentiment de pouvoir agir face aux enjeux environnementaux entourant le Saint-Laurent, et ce, en proposant d’importer « le dehors » dans les classes.
Berryman, T. (2003). L’éco-ontogenèse : les relations à l’environnement dans le développement humain. D’autres rapports au monde pour d’autres développements. Éducation relative à l’environnement, 4, 207-228.
Ceballos, G., Ehrlich, P., Barnosky, A., García, A., Pringle, R. et Palmer, T. (2015). Accelerated modern human-induced species losses: Entering the sixth mass extinction. Environmental Sciences, 1(5), 1-5.
Cheval, H. (2013). Quelles interactions avec la biodiversité pour l’implication des individus à sa conservation? La construction de nouvelles approches et méthodes de mesure. Thèse de doctorat inédite, Université Pierre et Marie Curie. ISSN 0294-1767 https://www.theses.fr/2013PA066671
Cordero, E. C., Centeno, D. et Todd, A. M. (2020). The role of climate change education on individual lifetime carbon emissions. PLoS ONE, 15(2), 1-23.
Estrada, A., Garber, P. et al. (2017). Impending extinction crisis of the world’s primates: Why primates matter. Science Advances, 3(1), 1-16.
Kwauk, C. (2020). Roadblocks to quality education in a time of climate change. Brooking: Center for Universal Education.
Morin, É. (2021). L’étude du sentiment de pouvoir agir de jeunes du Québec face aux changements climatiques: dimensions et conditions favorables à son développement à l’école secondaire [thèse de doctorat, Université du Québec à Rimouski]. Sémaphore. https://semaphore.uqar.ca/id/eprint/2014/