Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec
à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières
et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie
et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
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Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Alexis Legault, étudiant à la maitrise, Kara Edward, étudiante au doctorat et Adolfo Agundez Rodriguez, professeur, Université de Sherbrooke
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
Isabelle Arseneau, doctorante, Université Laval, Audrey Groleau, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières et Chantal Pouliot, Professeure, Université Laval
Maia Morel, professeure agrégée, Université de Sherbrooke et Elizabeth Fafard, étudiante à la maitrise, Université de Sherbrooke
Au cours des dernières années, les appels à une éducation relative à l’environnement de qualité dans les cours de sciences et technologie du primaire et du secondaire ont été de plus en plus nombreux. Par exemple, des jeunes se mobilisent depuis plus d’un an pour que les programmes de formation fassent une place significative aux enjeux environnementaux (Maltais et Turcotte, 2023), qu’il s’agisse des changements climatiques, de la gestion des déchets, de la déforestation ou de la pollution de l’air, de l’eau et du sol, pour ne nommer que quelques exemples.
La publication de nos programmes de formation remonte à 2001 pour le primaire (Ministère de l’Éducation du Québec [MELS], 2001) et à 2006 et 2007 pour les premier (MELS, 2006) et deuxième (MELS, 2007) cycles du secondaire. Sachant que la compréhension des enjeux environnementaux a progressé en vingt ans, d’une part, et qu’ils sont plus souvent discutés dans la sphère publique qu’ils ne l’étaient à l’époque, d’autre part, il n’est pas étonnant que les cours offerts aux jeunes ne répondent pas toujours bien à leurs besoins et à leurs attentes.
Avec un didacticien des mathématiques, une didacticienne de la géographie et des spécialistes de l’hydrologie et de l’hydraulique, nous avons examiné dans le détail les programmes de sciences et technologie, d’univers social et de mathématique en ce qui concerne le risque d’inondation. Dans cet article, nous présentons le concept de risque, ce que nous disent les programmes de formation de l’école québécoise (PFEQ) en sciences et technologie et la progression des apprentissages au primaire (MELS, 2009) et au secondaire (MELS, 2011a, 2011b) au sujet du risque d’inondation, puis nous formulons quelques propositions en vue d’éventuelles modifications du PFEQ dans la discipline Science et technologie.
Le risque est un concept complexe, puisqu’il combine des considérations relatives à la probabilité d’occurrence d’un aléa et les impacts de ce dernier sur un système ou une communauté (Morin, 2008). L’aléa, c’est l’évènement, le phénomène qui peut causer des perturbations, qu’il soit d’origine naturelle ou humaine : le tremblement de terre, la pandémie, la rupture d’un barrage, etc. Ses caractéristiques, comme son intensité, son caractère récurrent ou non et la possibilité, ou non, de prévoir le moment approximatif de sa survenue, sont à considérer lorsqu’on cherche à quantifier son importance et sa probabilité d’occurrence. Ses impacts dépendent du niveau d’exposition du milieu (par exemple, pour un tremblement de terre, à quelle distance se situe-t-on de l’épicentre?) et de la vulnérabilité du système face à lui (les bâtiments sont-ils conçus pour y résister?). Ainsi, la vulnérabilité détermine dans quelle mesure un système ou une population peut être affecté par l’aléa. C’est dans cet ordre d’idées qu’on dira que les personnes âgées sont plus vulnérables aux vagues de chaleur que les jeunes adultes, car elles sont généralement plus affectées qu’eux. La vulnérabilité peut être de divers ordres : économique, sociale, environnementale ou physique. Le risque, quant à lui, se définit comme la prise en considération conjointe de la probabilité d’occurrence de l’aléa et de ses conséquences, elles-mêmes liées de près au concept de vulnérabilité.
Le risque d’inondation est un enjeu environnemental important en contexte québécois parce qu’il touche de nombreux jeunes et leurs familles. À titre d’exemple, au moment de la rédaction de cet article, les médias rapportent des inondations importantes dans Lanaudière, dans les Laurentides et dans Charlevoix (Larin et al., 2023; Radio-Canada, 2023). Des personnes ont dû être évacuées, des quartiers sont isolés, des routes sont impraticables et deux pompiers ont malheureusement été emportés par les eaux. De telles nouvelles sont publiées régulièrement au moment de la fonte des neiges, lors de fortes pluies ou lorsque des évènements météorologiques inhabituels ou extrêmes surviennent. Par ailleurs, le risque d’inondation se transforme en raison des changements climatiques : les inondations peuvent arriver dans des lieux où elles ne se produisaient habituellement pas auparavant, peuvent être vécues plus tôt ou plus tard dans la saison que dans le passé, etc. Il faudra donc s’adapter à ces transformations, et l’éducation au risque d’inondation est sans doute un outil pertinent à cet égard. En somme, les inondations et les risques qui leur sont associés recoupent plusieurs disciplines des sciences de la nature (météorologie, hydrologie, géographie physique, etc.) et du domaine des sciences sociales (aménagement du territoire, géographie humaine, etc.). Dans le contexte du PFEQ, qui est organisé par domaines, disciplines et cours, le risque d’inondation gagnerait à être travaillé en interdisciplinarité, que ce thème soit pris en charge par un seul enseignant qui maitrise les contenus de disciplines connexes et les intègre à son cours, ou encore par une équipe d’enseignants de diverses disciplines.
Tout au long du primaire, les élèves étudient divers types de précipitations, le cycle de l’eau, les marées et différents phénomènes naturels, puis réfléchissent aux impacts de ces phénomènes sur les individus, les sociétés et l’environnement. Les élèves sont aussi initiés aux impacts des activités humaines sur l’environnement. D’autres savoirs périphériques au risque d’inondation sont aussi nommés dans la progression des apprentissages, notamment les spécificités du climat (p. ex., est-il plutôt sec ou plus humide au Québec?) et les changements observables dans l’environnement au fil des saisons (p. ex., on pourrait ici étudier les crues printanières). Pourtant, les vocables « inondation », « risque » (du moins au sens sur lequel on s’appuie dans cet article), « aléa », « exposition » et « vulnérabilité » ne figurent pas dans les documents ministériels du primaire en sciences et technologie.
Au premier cycle du secondaire, on s’intéresse aux types de sols, à l’hydrosphère, au cycle de l’eau, aux marées et aux manifestations naturelles de l’énergie. Au deuxième cycle, on retrouve plusieurs concepts liés au risque d’inondation (bassin versant, circulation océanique, glacier, banquise, masse d’air, cyclone, anticyclone), mais ce sont les problématiques environnementales autour desquelles les enseignantes et enseignants sont invités à organiser les savoirs qui constituent le levier le plus visible pour une éducation au risque d’inondation. Parmi ces problématiques, notons la déforestation et les changements climatiques, qui ont en commun de pouvoir mener à une transformation du risque d’inondation, par exemple en augmentant ou en diminuant la probabilité d’occurrence de l’aléa d’inondation. Par ailleurs, des suggestions d’applications pour contextualiser les apprentissages, comme le pluviomètre et la carte des égouts pluviaux, et des repères culturels, comme des évènements météorologiques extrêmes, sont proposés dans les documents ministériels.
Au primaire comme au secondaire, les enseignantes et les enseignants peuvent aussi s’appuyer sur les trois compétences disciplinaires pour amener les élèves à se familiariser avec le risque d’inondation. Des démarches de modélisation ou expérimentales convoquant des données réelles ou simulées pourraient être envisagées pour développer la compétence 1 (relative à la résolution de problèmes), tout comme des démarches empiriques permettant de sonder des citoyennes et citoyens au sujet de leur expérience d’inondation (p. ex., refoulement d’égout lors de fortes pluies ou inondation du sous-sol lors de crues printanières). On peut bien sûr penser aux démarches de construction d’opinion pour amener les élèves à développer la compétence 2 (qui concerne notamment la mise à profit des connaissances), par exemple dans le contexte d’un travail invitant les élèves à proposer des mesures pour diminuer le risque d’inondation. Une démarche de vulgarisation, combinée ou non à la réalisation d’autres démarches, pourrait être mise à profit en lien avec la compétence 3 (qui porte sur la communication scientifique et technologique). Ici, on pourrait imaginer que les élèves travaillent sur des questionnements qu’ils ont eux-mêmes formulés comme « quels pourraient être les effets des changements climatiques sur le risque d’inondation dans ma région? » ou encore « pourquoi telle route près de chez moi est-elle souvent inondée au printemps alors que telle autre route, pourtant située tout près, ne l’est généralement pas? ».
En somme, les programmes de formation du primaire et du secondaire en sciences et technologie offrent des leviers intéressants pour aborder le risque d’inondation en salle de classe, sans toutefois rendre ce thème obligatoire. D’ailleurs, nous aurions pu mener le même exercice pour d’autres thèmes relatifs à l’environnement. Nous aurions fort probablement formulé des constatations semblables, sachant que les quatre problématiques autour desquelles s’organisent les savoirs prescrits de la quatrième année du secondaire (changements climatiques, défis énergétiques, eau potable et déforestation) ne sont elles-mêmes pas prescrites MELS, 2007). Au bout du compte, ce qui importe à nos yeux, ce n’est pas tellement d’étudier spécifiquement chaque type de risques : c’est de s’assurer que les élèves se familiarisent avec l’idée de risque, qu’ils soient en mesure d’analyser des situations et de proposer des pistes de solution. C’est pourquoi nous formulons les recommandations suivantes.
D’abord, nous recommandons de rendre l’étude de problématiques environnementales obligatoire. Leur nature exacte (p. ex., est-ce qu’on étudie la pollution de l’eau, de l’air ou du sol plutôt que la déforestation?) pourrait être prescrite ou non, au primaire comme au secondaire. Certaines problématiques, comme les changements climatiques, sont incontournables. D’autres pourraient être choisies en fonction du contexte ou de l’actualité. D’autres encore pourraient émerger au cours des prochaines années et être difficiles à entrevoir au moment de la révision du programme. C’est pourquoi nous pensons que certaines pourraient être prescrites et que d’autres pourraient explicitement être laissées au choix de l’enseignante ou de l’enseignant.
De plus, avec les membres de notre équipe élargie, nous nous sommes rendu compte que la compréhension en profondeur des problématiques environnementales permet de s’approprier le concept de risque. Si on comprend bien le phénomène de déforestation ou de changements climatiques, par exemple, on peut plus facilement appréhender le concept de risque d’inondation, parce qu’on peut tisser un lien entre la déforestation et la vulnérabilité ou encore entre les changements climatiques et l’importance de certains aléas. C’est pourquoi nous proposons aussi de rendre l’éducation au risque obligatoire dans les prochaines versions des programmes de sciences et technologie au secondaire, sans nécessairement spécifier le type d’aléas (inondations, tremblements de terre, etc.) à étudier. Pour ce faire, il nous semble pertinent que le vocabulaire associé au risque (risque, aléa, vulnérabilité, exposition) figure explicitement dans les programmes.
Par ailleurs, le programme actuel de la quatrième année du secondaire demande d’organiser les savoirs prescrits autour de problématiques environnementales. Cela dit, l’épreuve unique, qui a lieu à la fin de cette année, n’aborde pas ces problématiques en profondeur. Cette situation fait en sorte que les enseignantes et enseignants se retrouvent dans une situation difficile : il est non seulement prévu qu’elles et ils préparent leurs élèves à l’épreuve unique, mais il leur est aussi demandé d’approfondir les problématiques environnementales. Le problème, ici, c’est que ces deux exigences ne sont pas tout à fait compatibles. C’est pourquoi les personnes qui réviseront le programme gagneraient à mieux distribuer l’étude des problématiques environnementales à travers les années du primaire et du secondaire. Il serait aussi intéressant que les questions relatives à l’environnement et aux changements climatiques prennent une place plus importante dans l’épreuve unique.
Finalement, si nous souhaitons que les élèves soient en mesure de se construire une représentation complexe du risque, l’enseignement et l’apprentissage des sciences et de la technologie doivent faire une place plus grande aux autres disciplines. Les programmes de formation suggèrent déjà aux enseignantes et aux enseignants de faire des liens avec les autres disciplines. Cela dit, il faudra intensifier ce travail interdisciplinaire. Dans le contexte de notre travail, nous avons en effet pu constater la nécessité d’être à l’aise avec les probabilités et la statistique, d’une part, et avec les particularités géographiques du territoire, d’autre part, pour être en mesure de comprendre le concept de risque d’inondation.
Nous sommes reconnaissants envers Alain Mailhot, professeur d’hydrologie urbaine à l’Institut national de la recherche scientifique, pour ses commentaires judicieux à la lecture de la première version de cet article. Nous remercions par ailleurs le Réseau inondations intersectoriel du Québec (RIISQ) et Ouranos pour leur contribution financière au projet Développer l’éducation à la spatialisation des aléas d’inondations dans les écoles secondaires au Québec, auquel cet article est lié.
Larin, V., Lecavalier, C. et Plante-Fréchette, E. (2023). « Du jamais vu ». La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/regional/2023-05-01/inondations-dans-charlevoix/du-jamais-vu.php
Maltais, M. et Turcotte, C. (2023). Pour un cursus scolaire plus vert. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/789272/idees-pour-un-cursus-scolaire-plus-vert
Ministère de l’Éducation du Québec. (2001). Programme de formation de l’école québécoise. Éducation préscolaire. Enseignement primaire.
Ministère de l’Éducation du Québec. (2006). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, premier cycle.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2007). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, deuxième cycle.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2009). Progression des apprentissages Science et technologie.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011a). Progression des apprentissages au secondaire. Science et technologie 1er cycle, Applications technologiques et scientifiques, Science et environnement.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011b). Progression des apprentissages au secondaire. Science et technologie 1er cycle, Science et technologie 2e cycle, Science et technologie de l’environnement.
Morin, M. (2008). Concepts de base en sécurité civile. https://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/securite_civile/publications/concepts_base/concepts_base.pdf
Radio-Canada. (2023). Des centaines de maisons inondées ou isolées dans Lanaudière et les Laurentides. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1975918/inondations-lanaudiere-laurentides-situation-2-mai-2023