Elisabeth Guérard, AESTQ
Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke
Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
Camille Binggeli, Université du Québec à Trois-Rivières
L’année scolaire 2020-2021, avec toutes ses contraintes sanitaires incontournables, a permis aux laboratoires virtuels d’évoluer de façon extraordinaire. Alors qu’autrefois la dissection allait de soi, en 2020-2021, l’ensemble des acteurs et des actrices du milieu de l’éducation scientifique ont dû réfléchir à l’approche pédagogique de l’enseignement des structures vivantes en y intégrant le défi de l’enseignement en ligne.
Bien ancré dans le 21e siècle, avec pour toile de fond la diminution des ressources à l’échelle planétaire ainsi que les questionnements sur la consommation, l’environnement, la pandémie de COVID-19, l’éthique envers les animaux et le gaspillage, l’apprentissage des sciences par la dissection est remis en question : la dissection a-t-elle encore sa place dans les écoles secondaires québécoises?
Depuis toujours, les activités de dissection sont très attendues par les élèves. Face aux contraintes sanitaires qui ont exigé la mise de côté de cette pratique, plusieurs élèves se sont montrés très déçus. La dissection engendre de nombreuses émotions contradictoires chez les élèves : anticipation et crainte, excitation et angoisse, curiosité et dégout, peur… Mais, au bout du compte, en plus de l’apprentissage attendu, les activités de dissection permettront aux jeunes de se découvrir et, pour certains, d’apprendre à établir leurs limites. Des passions se dévoileront pour certains, tandis que, pour d’autres, un travail personnel, avec un soutien adéquat, sera nécessaire.
Marie-Claude Michaud est psychologue en milieu scolaire, au secondaire, pour le centre de services scolaire Marie-Victorin, depuis 2013. Je l’ai rencontrée pour discuter avec elle de l’aspect émotionnel de la dissection (communication personnelle, 2021).
Selon elle, chez l’élève anxieux, la dissection peut être vécue comme un facteur de stress important engendrant, comme réponse comportementale, l’évitement. Cette réponse ayant un impact négatif sur les apprentissages et sur le développement personnel, il est nécessaire de s’y attarder. En effet, l’évitement retarde le processus de gestion de l’anxiété et peut en conséquence augmenter la peur chez l’élève.
Au laboratoire, on remarquera souvent l’élève en évitement par son dégout (visuel ou olfactif). L’enseignante ou l’enseignant doit en tenir compte, car ne pas être en mesure de faire l’activité ne doit pas être perçu comme un échec par l’élève. Néanmoins, en fonction de la réalité de chaque élève, une étroite collaboration entre les personnes intervenantes (par exemple, entre la personne enseignante et la technicienne ou le technicien en travaux pratiques) permettra de bien adapter l’activité et une aide extérieure à la classe (par exemple, une technicienne ou un technicien en éducation spécialisée) pourrait également être bénéfique. Bien accompagnés, certains élèves sortiront de leur zone de confort et apprendront beaucoup sur eux-mêmes.
Comme le mentionne Marie-Claude Michaud : « Il y a alors possibilité que l’anxiété de l’élève diminue de façon globale, et ce, à long terme. »
Pour d’autres élèves, l’expérience sera tout autre : en plus de l’apprentissage attendu, elle révélera des passions, un leadership nouveau, une carrière scientifique en devenir.
De par les émotions qu’elles engendrent, les activités de dissection sont très souvent marquantes dans le cheminement des jeunes.
Selon Jonathan Richer (2016), conseiller pédagogique en science et technologie au C.S.S. des Affluents, il faut se questionner sur les intentions de la dissection :
"Quelles sont les intentions pédagogiques de la dissection? Je pense que c’est avant tout pour faire comprendre comment se construit la science. Pour saisir comment les scientifiques en arrivent à modéliser un phénomène ou, de manière plus large, une réalité comme la structure d’un organe. Bref, pour comprendre comment se construisent les sciences : par l’observation."
J’ai travaillé pendant plusieurs années avec une clientèle souffrant de déficience visuelle et j’en suis arrivée à la conclusion suivante : le toucher n’a pas son égal pour la compréhension d’une structure. La texture, le poids, la température, l’odeur, la raideur, les callosités, etc. sont source d’apprentissage. Même si on observe une vidéo avant l’activité, sa finalité (la compréhension, l’impression, la perception) sera enrichie par le contact direct avec l’organisme ou l’organe. Au fil des années, j’ai même ajouté des manipulations pour permettre aux élèves de mieux discriminer, par le toucher, les structures à l’étude. L’incidence du toucher sur l’apprentissage est, à mon avis, majeure.
Certaines universités du Québec n’imposent plus la dissection de cadavres à leurs étudiantes et étudiants de médecine. Elles utilisent plutôt des logiciels de visualisation du corps humain. En recherche fondamentale, la dissection pourrait être encore aujourd’hui la seule possibilité d’obtention de résultats.
Lors de mon entretien avec François Vézina (communication personnelle, 2021), doctorant et professeur au département de biologie, chimie et géographie de l’Université du Québec à Rimouski, celui-ci indique que les étudiantes et étudiants universitaires ont une préoccupation grandissante quant à la manipulation de spécimens animaliers. Le professeur mentionne d’ailleurs ne pas avoir eu recours à la dissection lors de son passage au secondaire, se contentant de démonstrations magistrales. Il affirme qu’avec les nouvelles technologies, les étudiantes et les étudiants peuvent apprendre sans avoir recours à des spécimens biologiques. Il s’avère cependant que la recherche doit sacrifier certains spécimens et, dans ces cas-là, l’étudiante ou l’étudiant recevra la formation spécifique sur place.
La pandémie a placé le besoin en laboratoires virtuels sur le devant de la scène et les sites de modélisation se sont multipliés. Les simulateurs de manipulation, de dissection et de nombreuses activités scientifiques ont été créés et sont devenus accessibles. Le personnel enseignant, les techniciennes et les techniciens ainsi que les conseillères et conseillers pédagogiques du Québec ont travaillé ensemble pour trouver les meilleures solutions de laboratoire virtuel. Différents outils offerts gratuitement (Zygote Body, Anatomy Learning, Anomalous Medical) peuvent donc représenter des solutions de remplacement intéressantes de la dissection.
Malgré les avancées incroyables de l’année 2020-2021, il reste beaucoup de questionnement et de sensibilisation à propos de la pertinence de la dissection. Dans l’attente d’éventuelles lignes directrices claires, voici quelques propositions pour optimiser la portée éducative de la dissection ou pour diminuer le nombre de spécimens utilisés :
Alors, la dissection a-t-elle encore sa place dans les écoles secondaires québécoises? La question n’est pas simple. Plus sensibles au côté éthique, les élèves d’aujourd’hui pourraient remettre en question le recours à des spécimens sacrifiés pour leur permettre d’étudier l’anatomie. La dissection est loin d’être une mauvaise façon d’enseigner, mais plusieurs solutions de remplacement sont accessibles et le besoin de l’élève devrait demeurer le point central de notre réflexion. En ce sens, il appartient aux différents milieux de choisir selon les besoins pédagogiques. Les avenues sont nombreuses quant au chemin possible vers un enseignement efficace des sciences au secondaire. J’aime l’idée de placer l’élève au cœur de ses apprentissages et d’adapter nos méthodes d’enseignement aux besoins, dans un esprit ouverture, au fil des années.
Richer, J. (2016, 21 juillet). La dissection, une activité théorique! Science et technologie au secondaire – Des idées pour rendre vos élèves actifs dans leurs apprentissages. https://blogues.csaffluents.qc.ca/sciencetechno/2016/07/21/la-dissection-une-activite-theorique/
CBC News. (2019, 27 novembre). Catholic high schools phasing out traditional animal dissections using ‘modern virtual technology’. CBC News. https://www.cbc.ca/news/canada/windsor/animal-dissection-technology-windsor-wecdsb-1.5375409?fbclid=IwAR3TgDlzZTpIiuTEX9CvRfBKlFQSUjFNiRUMmm8P9HAhXQySQhM3BY9IT-k