La dissection a-t-elle encore sa place à l’école secondaire au Québec?

Michelle Gagné, C.S.S. Marie-Victorin

Sur le même sujet

Passion, dévouement et innovation dans l'enseignement des sciences
Portrait de Sonia Bonin, lauréate du prix Gaston-St-Jacques 2023

Elisabeth Guérard, AESTQ

 

Lire la suite
Art, culture et pêche à la mouche

Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke

Lire la suite
Mon Saint-Laurent vu du rivage : s'approprier notre fleuve Saint-Laurent en contexte de classe

Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec

Lire la suite
La notion de risque

Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)

Lire la suite
Intégrer les systèmes d’information géographique (SIG) dans son enseignement : suggestions pour l’enseignement primaire et secondaire

Camille Binggeli, Université du Québec à Trois-Rivières

Lire la suite

 

Pistes de réflexion et solutions de remplacement

L’année scolaire 2020-2021, avec toutes ses contraintes sanitaires incontournables, a permis aux laboratoires virtuels d’évoluer de façon extraordinaire. Alors qu’autrefois la dissection allait de soi, en 2020-2021, l’ensemble des acteurs et des actrices du milieu de l’éducation scientifique ont dû réfléchir à l’approche pédagogique de l’enseignement des structures vivantes en y intégrant le défi de l’enseignement en ligne.

Bien ancré dans le 21e siècle, avec pour toile de fond la diminution des ressources à l’échelle planétaire ainsi que les questionnements sur la consommation, l’environnement, la pandémie de COVID-19, l’éthique envers les animaux et le gaspillage, l’apprentissage des sciences par la dissection est remis en question : la dissection a-t-elle encore sa place dans les écoles secondaires québécoises?

L’appréhension de la dissection par les jeunes

Depuis toujours, les activités de dissection sont très attendues par les élèves. Face aux contraintes sanitaires qui ont exigé la mise de côté de cette pratique, plusieurs élèves se sont montrés très déçus. La dissection engendre de nombreuses émotions contradictoires chez les élèves : anticipation et crainte, excitation et angoisse, curiosité et dégout, peur… Mais, au bout du compte, en plus de l’apprentissage attendu, les activités de dissection permettront aux jeunes de se découvrir et, pour certains, d’apprendre à établir leurs limites. Des passions se dévoileront pour certains, tandis que, pour d’autres, un travail personnel, avec un soutien adéquat, sera nécessaire. 

Marie-Claude Michaud est psychologue en milieu scolaire, au secondaire, pour le centre de services scolaire Marie-Victorin, depuis 2013. Je l’ai rencontrée pour discuter avec elle de l’aspect émotionnel de la dissection (communication personnelle, 2021). 

Selon elle, chez l’élève anxieux, la dissection peut être vécue comme un facteur de stress important engendrant, comme réponse comportementale, l’évitement. Cette réponse ayant un impact négatif sur les apprentissages et sur le développement personnel, il est nécessaire de s’y attarder. En effet, l’évitement retarde le processus de gestion de l’anxiété et peut en conséquence augmenter la peur chez l’élève. 
Au laboratoire, on remarquera souvent l’élève en évitement par son dégout (visuel ou olfactif). L’enseignante ou l’enseignant doit en tenir compte, car ne pas être en mesure de faire l’activité ne doit pas être perçu comme un échec par l’élève. Néanmoins, en fonction de la réalité de chaque élève, une étroite collaboration entre les personnes intervenantes (par exemple, entre la personne enseignante et la technicienne ou le technicien en travaux pratiques) permettra de bien adapter l’activité et une aide extérieure à la classe (par exemple, une technicienne ou un technicien en éducation spécialisée) pourrait également être bénéfique. Bien accompagnés, certains élèves sortiront de leur zone de confort et apprendront beaucoup sur eux-mêmes.

Comme le mentionne Marie-Claude Michaud : « Il y a alors possibilité que l’anxiété de l’élève diminue de façon globale, et ce, à long terme. »

Pour d’autres élèves, l’expérience sera tout autre : en plus de l’apprentissage attendu, elle révélera des passions, un leadership nouveau, une carrière scientifique en devenir. 

De par les émotions qu’elles engendrent, les activités de dissection sont très souvent marquantes dans le cheminement des jeunes.

Faut-il toucher pour comprendre?

Selon Jonathan Richer (2016), conseiller pédagogique en science et technologie au C.S.S. des Affluents, il faut se questionner sur les intentions de la dissection :

"Quelles sont les intentions pédagogiques de la dissection? Je pense que c’est avant tout pour faire comprendre comment se construit la science. Pour saisir comment les scientifiques en arrivent à modéliser un phénomène ou, de manière plus large, une réalité comme la structure d’un organe. Bref, pour comprendre comment se construisent les sciences : par l’observation."

J’ai travaillé pendant plusieurs années avec une clientèle souffrant de déficience visuelle et j’en suis arrivée à la conclusion suivante : le toucher n’a pas son égal pour la compréhension d’une structure. La texture, le poids, la température, l’odeur, la raideur, les callosités, etc. sont source d’apprentissage. Même si on observe une vidéo avant l’activité, sa finalité (la compréhension, l’impression, la perception) sera enrichie par le contact direct avec l’organisme ou l’organe. Au fil des années, j’ai même ajouté des manipulations pour permettre aux élèves de mieux discriminer, par le toucher, les structures à l’étude. L’incidence du toucher sur l’apprentissage est, à mon avis, majeure.

Où en sommes-nous à l’heure actuelle?

Certaines universités du Québec n’imposent plus la dissection de cadavres à leurs étudiantes et étudiants de médecine. Elles utilisent plutôt des logiciels de visualisation du corps humain. En recherche fondamentale, la dissection pourrait être encore aujourd’hui la seule possibilité d’obtention de résultats. 

Lors de mon entretien avec François Vézina (communication personnelle, 2021), doctorant et professeur au département de biologie, chimie et géographie de l’Université du Québec à Rimouski, celui-ci indique que les étudiantes et étudiants universitaires ont une préoccupation grandissante quant à la manipulation de spécimens animaliers. Le professeur mentionne d’ailleurs ne pas avoir eu recours à la dissection lors de son passage au secondaire, se contentant de démonstrations magistrales. Il affirme qu’avec les nouvelles technologies, les étudiantes et les étudiants peuvent apprendre sans avoir recours à des spécimens biologiques. Il s’avère cependant que la recherche doit sacrifier certains spécimens et, dans ces cas-là, l’étudiante ou l’étudiant recevra la formation spécifique sur place.

La pandémie a placé le besoin en laboratoires virtuels sur le devant de la scène et les sites de modélisation se sont multipliés. Les simulateurs de manipulation, de dissection et de nombreuses activités scientifiques ont été créés et sont devenus accessibles. Le personnel enseignant, les techniciennes et les techniciens ainsi que les conseillères et conseillers pédagogiques du Québec ont travaillé ensemble pour trouver les meilleures solutions de laboratoire virtuel. Différents outils offerts gratuitement (Zygote Body, Anatomy Learning, Anomalous Medical) peuvent donc représenter des solutions de remplacement intéressantes de la dissection. 

Des solutions de remplacement de la dissection

Malgré les avancées incroyables de l’année 2020-2021, il reste beaucoup de questionnement et de sensibilisation à propos de la pertinence de la dissection. Dans l’attente d’éventuelles lignes directrices claires, voici quelques propositions pour optimiser la portée éducative de la dissection ou pour diminuer le nombre de spécimens utilisés :

  • Privilégier les spécimens congelés plutôt que ceux conservés en milieu liquide. Les couts de gestion de déchets seront ainsi plus faibles. Il s’agit également d’un meilleur choix environnemental.
  • Utiliser des modèles 3D. Comme en témoigne cet article de CBC News (2019), la technologie existe et elle est accessible aux écoles secondaires. De plus, une collaboration interdisciplinaire, science et arts plastiques, serait possible pour la création des modèles. 
  • Travailler en équipes de trois au lieu de deux pour l’exécution des tâches de dissection. Vous économiserez ainsi sur les pièces les plus dispendieuses. Lorsque le budget est une contrainte, une démonstration ouverte avec possibilité de manipulation par les élèves est très acceptable. 
  • Cibler les dissections les plus pertinentes pour l’élève. Prenez des notes pour répertorier les activités de dissection qui ont eu le plus d’impact et de résultats positifs et concrets lors des évaluations subséquentes. Le but de la dissection étant l’intégration de structures, si l’apport concret de la dissection n’est pas réel et vérifiable, il convient de se questionner sur sa validité pédagogique. 
  • Utiliser des ailes de poulet pour faire l’apprentissage des muscles et des os. Le merlan (ou autre poisson) acheté à la poissonnerie permet de faire l’intégration des systèmes à moindre cout.
  • S’approvisionner en os chez le boucher. Celui-ci peut scier un os de veau longitudinalement, ce qui vous permettra de faire comprendre les parties de l’os pour quelques dollars. 

Alors, la dissection a-t-elle encore sa place dans les écoles secondaires québécoises? La question n’est pas simple. Plus sensibles au côté éthique, les élèves d’aujourd’hui pourraient remettre en question le recours à des spécimens sacrifiés pour leur permettre d’étudier l’anatomie. La dissection est loin d’être une mauvaise façon d’enseigner, mais plusieurs solutions de remplacement sont accessibles et le besoin de l’élève devrait demeurer le point central de notre réflexion. En ce sens, il appartient aux différents milieux de choisir selon les besoins pédagogiques. Les avenues sont nombreuses quant au chemin possible vers un enseignement efficace des sciences au secondaire. J’aime l’idée de placer l’élève au cœur de ses apprentissages et d’adapter nos méthodes d’enseignement aux besoins, dans un esprit ouverture, au fil des années.

RÉFÉRENCES

Richer, J. (2016, 21 juillet). La dissection, une activité théorique! Science et technologie au secondaire – Des idées pour rendre vos élèves actifs dans leurs apprentissages. https://blogues.csaffluents.qc.ca/sciencetechno/2016/07/21/la-dissection-une-activite-theorique/

CBC News. (2019, 27 novembre). Catholic high schools phasing out traditional animal dissections using ‘modern virtual technology’. CBC News. https://www.cbc.ca/news/canada/windsor/animal-dissection-technology-windsor-wecdsb-1.5375409?fbclid=IwAR3TgDlzZTpIiuTEX9CvRfBKlFQSUjFNiRUMmm8P9HAhXQySQhM3BY9IT-k