Emmanuelle Goulet, enseignante en physique, Cégep du Vieux Montréal
Elisabeth Guérard, AESTQ
Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke
Phylippe Laurendeau, GRICS | Rédacteur en chef de la revue Spectre
Ces dernières années, les mesures sanitaires nous ont forcés à passer régulièrement du mode à distance au mode en présentiel. Alors que la classe inversée représentait autrefois une approche innovante, elle pourrait désormais constituer la clé vers une stabilité pédagogique face à des contraintes changeantes dans le mode d’enseignement. Que l’on souhaite basculer en tout ou en partie vers la classe inversée, des choix s’imposent afin de favoriser l’adhésion des étudiants et étudiantes aux exigences de ce type d’enseignement.
La classe inversée consiste principalement à confier l’apprentissage théorique en devoir et à favoriser la mise en application en classe. Grâce aux outils numériques qui sont de plus en plus accessibles et utilisés, il est envisageable de proposer des capsules vidéos explicatives plus dynamiques et motivantes que la lecture pour parcourir les concepts à étudier à la maison.
Les travaux supervisés lors des rencontres en classe ou à distance se composent d’activités qui sollicitent l’emploi des notions vues en devoir. On les retrouve sous forme de résolutions de problèmes, souvent en équipes, ou d’activités de type « classe active » de toutes sortes. L’utilisation de la classe active conduirait vers de meilleurs taux de réussite que le traditionnel enseignement magistral dans le domaine des sciences et des mathématiques (Freeman et al. 2014). Le lecteur ou la lectrice pourra s’inspirer de divers sites pour trouver des activités de ce type adaptées à ses cours, par exemple celui du SALTISE (saltise.ca) ou celui du CCDMD (pbl.ccdmd.qc.ca).
Plusieurs raisons m’ont poussée à choisir ce que j’appelle la classe semi-inversée, c’est-à-dire une approche dans laquelle environ la moitié de la théorie est enseignée en différé et l’autre moitié est enseignée en direct. Tout d’abord, dans la majorité des cours techniques dans lesquels je l’ai appliquée (physique appliquée à l’architecture et résistance des matériaux), la pondération associée aux heures de travail personnel était inférieure au nombre d’heures de théorie. Il était par conséquent impossible de transférer toute la théorie en devoir. Ensuite, certaines notions plus complexes requièrent, selon mon observation, une rétroaction immédiate et doivent donc de préférence être enseignées en direct et non en différé. Enfin, morceler les cours théoriques dans la semaine plutôt que de les suivre en un bloc continu est sans doute plus digeste et bénéfique pour les étudiants et étudiantes. Cela est d’autant plus concevable dans le cas de cours synchrones virtuels où la fatigue oculaire peut s’installer à cause des yeux rivés sur un écran trop longtemps.
Le temps libéré par la théorie acquise en devoir me permet d’accompagner les étudiants et étudiantes lors de leur mise en pratique et de vérifier les apprentissages en temps réel. Je les guide pour qu’ils puissent intégrer les notions étudiées et j’interviens selon leurs besoins individuels lorsque des difficultés sont éprouvées. Les tâches en direct sont souvent de type collaboratif et peuvent avoir lieu aussi bien en mode présentiel qu’en mode virtuel (lorsque requis par les consignes de santé publique) pendant les heures réservées au cours. Il peut aussi être question de travaux visant la résolution de problèmes individuels à remettre séance tenante.
Mon expérience m’a montré qu’un plus grand nombre d’étudiants et étudiantes effectuait les travaux de résolution de problèmes lorsqu’ils étaient supervisés en classe que lorsqu’ils étaient à effectuer en dehors des heures-contact. L’interaction pendant ces séances en direct semble un facteur de motivation pour les étudiants et étudiantes tout comme pour la personne qui enseigne.
Pour qu’un tel type d’enseignement soit possible, un enjeu crucial demeure : obtenir l’adhésion des étudiants et étudiantes aux devoirs. Mon témoignage vise principalement à partager avec vous les astuces que j’ai développées au fil du temps afin de faciliter l’accès aux capsules vidéos par les étudiants et étudiantes et de les rendre actifs et actives par l’intermédiaire de ce que j’appelle le devoir numérique ou devoir en ligne.
Parmi les moyens pour susciter une participation aux devoirs en ligne, l’uniformité tient lieu de fil conducteur. La théorie transmise en devoir est enseignée de la même manière que la théorie présentée en classe. Les notes de cours manuscrites prises en devoir se trouvent au même endroit que les notes recueillies en classe. Les devoirs sont récurrents et toujours sous le même format. Les prochains paragraphes détaillent les particularités des devoirs en ligne qui visent les objectifs suivants :
Afin de centraliser tout le matériel nécessaire à l’exécution du devoir numérique, j’ai choisi de produire des questionnaires en ligne. Certaines étapes de ces formulaires visent aussi à éveiller de l’intérêt et de la curiosité pour le cours suivant.
Ils regroupent :
La création de tels questionnaires demeure relativement simple dans Microsoft Forms ou encore Google Formulaires. Si votre établissement emploie déjà l’une ou l’autre plateforme, l’identification du participant ou de la participante s’effectue automatiquement. De plus, vous pouvez visualiser les réponses de manière individuelle ou sous forme de tableaux résumés. Voici un exemple de questionnaire utilisé dans un cours d’acoustique :
L’emploi des questionnaires pour les devoirs numériques comporte de multiples avantages :
Afin que les apprentissages par capsules vidéos soient considérés aussi sérieusement que les apprentissages en direct, j’encourage une prise de notes de cours uniforme dans les deux cas. C’est la raison pour laquelle seul un fascicule qui contient des notes de cours partielles (figure 2) est fourni. Dans ce cahier, une portion de la théorie est déjà énoncée, mais une partie doit être complétée de façon manuscrite. Des espaces sont aussi prévus pour y insérer les exemples détaillés en classe ou en vidéo. Les capsules vidéos que j’emploie contiennent le même visuel que le cahier d’apprentissage. Il est donc aisé de s’y repérer sans perdre de temps.
Dans le même esprit, je trouve plus efficace de donner un questionnaire à remplir en devoir après chaque cours, même si certains ne comportent pas de vidéos. Par exemple, comme devoir qui précède un examen, on préfèrera soumettre une série de questions de révision plutôt que du nouveau contenu.
J’ai constaté que, lorsque la routine est bien installée, les étudiants et étudiantes savent qu’ils ont systématiquement un devoir numérique à effectuer avant le cours suivant et ont peu tendance à l’oublier. Chaque devoir demande un temps d’exécution d’une trentaine de minutes à une heure au maximum et sa durée estimée, comme la durée de chaque capsule à visionner, est annoncée dans le questionnaire.
Je n’attribue pas de points au devoir numérique, mais j’affiche chaque semaine, dans le sommaire des notes associées au cours, un point fictif aux personnes qui l’ont rempli. Ainsi, si l’oubli est dû à une pure distraction, il est toujours temps d’y remédier même si la date prescrite est dépassée.
Bon nombre d’entre vous ont peut-être enregistré des cours complets lors des sessions d’enseignement à distance. Vous disposez d’une mine d’or! Je vous conseille, si ce n’est déjà fait, de découper certaines de vos explications en capsules d’une durée maximale de 6 à 7 minutes (Guo et al., 2014), puis de les incorporer dans des devoirs numériques. Pour vous lancer dans la création de vidéos plus élaborées, les recommandations de Caroline Cormier et Bruno Voisard (2020) seront utiles.
Si vous disposez de la suite bureautique Microsoft Office 365, il peut être judicieux de déposer vos vidéos directement dans Stream. À cet endroit, vous aurez aussi le loisir de pouvoir remplacer vos vidéos tout en conservant l’adresse Internet originale. Cela vous évitera de devoir changer les liens situés dans vos questionnaires si vous décidez de mettre à jour le contenu d’une vidéo. En revanche, il vous faudra ajuster les autorisations d’accès à chacun de vos groupes d’une session à l’autre si vous ne souhaitez pas les diffuser à l’ensemble de la communauté de votre collège. YouTube constitue une autre option utile comme lieu de stockage des vidéos.
Chaque plateforme comporte ses avantages et ses inconvénients. On peut judicieusement recourir aux listes de lecture de YouTube pour y placer une série de vidéos déjà consultées dans les questionnaires. Ces listes de lecture évitent à l’apprenant ou l’apprenante de devoir chercher dans quel questionnaire se trouvait une vidéo en particulier qu’il voudrait revisionner (lors d’une révision pour un examen par exemple). Je ne divulgue toutefois pas les listes de lecture avant que toutes les vidéos de la liste aient été vues une première fois. L’inverse pourrait inciter les étudiants et étudiantes à ignorer les questionnaires et ainsi sauter les questions qui précèdent et qui suivent les vidéos. Ces questions, et la réflexion qu’elles suscitent, participent au processus d’apprentissage.
Finalement, si votre collège contribue au Fonds collectif de perfectionnement de l’Association pour les applications pédagogiques de l’ordinateur au postsecondaire (APOP), vous pourriez accéder à ses courtes formations, régulièrement offertes, sur la création de questionnaires numériques.
La classe semi-inversée me permet d’offrir un enseignement plus personnalisé en libérant du temps de classe pendant lequel il est possible d’accompagner chaque individu. Cette approche est profitable pour affronter plus facilement les difficultés rencontrées lors de la résolution de problèmes de physique. Elle ne constitue toutefois pas un gage de réussite pour tout le monde. Une part de travail estudiantin est tout de même requise en dehors de la classe. L’utilisation judicieuse des questionnaires en ligne est un moyen de favoriser l’adhésion des étudiants et étudiantes aux efforts demandés.
Certes, bâtir un cours selon une nouvelle approche demande du temps. Avec l’expérience des cours à distance, la création de matériel pour la classe inversée pourrait être facilitée. À long terme, en adoptant cette approche, on y gagne en satisfaction et en stabilité, peu importe les modalités d’enseignement dictées par les ouvertures ou fermetures d’écoles.
Merci à Kamel Mansouri, enseignant, Laurent Chouinard, technicien de laboratoire, et Daniel Bourry, conseiller pédagogique aux TIC pour leur soutien dans la rédaction de cet article.
Cormier, C. et Voisard, B. (2020). Un aspect de la classe inversée : conseils pratiques pour réaliser des vidéos éducatives. Spectre, 49(3), 12-15. https://cdn.ca.yapla.com/company/CPYT2P3mKNGuh6U60KhaghOE/asset/files/Spectre%20PDF/Spectre_Vol49_No3.pdf
Freeman, S., Eddy, S. L., McDonough, M., Smith, M. K., Okoroafor, N., Jordt, H. et Wenderoth, M. P. (2014). Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics. Proceedings of the National Academy of Sciences. U. S. A. 111(23), 8410-8415. https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1319030111
Guo, P. J., Kim, J. et Rubin, R. (2014). How video production affects student engagement: An empirical study of MOOC videos. Proceedings of the first ACM conference on Learning, 41-50. http://up.csail.mit.edu/other-pubs/las2014-pguo-engagement.pdf