Phylippe Laurendeau, rédacteur en chef
Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Alexis Legault, étudiant à la maitrise, Kara Edward, étudiante au doctorat et Adolfo Agundez Rodriguez, professeur, Université de Sherbrooke
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
Isabelle Arseneau, doctorante, Université Laval, Audrey Groleau, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières et Chantal Pouliot, Professeure, Université Laval
Maia Morel, professeure agrégée, Université de Sherbrooke et Elizabeth Fafard, étudiante à la maitrise, Université de Sherbrooke
Qu’est-ce qui cause l'émoi dans le monde de l’éducation depuis le mois de décembre? Non, ce n’est pas la nomination d’un nouveau ministre de l’Éducation. Il s’agit plutôt de ChatGPT, le robot conversationnel qui fait passer l’intelligence artificielle (IA) de Google pour un Tamagotchi des années 90. Vous en avez entendu parler? Depuis sa mise en ligne par OpenAI – dont l’un des fondateurs est Elon Musk – des dizaines d’articles sur le sujet sont publiés quotidiennement, sans compter les millions d'échanges sur les médias sociaux. Depuis le début de l’année, ChatGPT est le terme le plus googlé quotidiennement sur la planète. Le sujet fait couler beaucoup d’encre numérique.
Par un heureux hasard, cette sortie est survenue à peine un mois après le congrès annuel de notre association dont le thème était, je le rappelle, « Pour des citoyens éthiques à l’ère de l’intelligence artificielle ». L’IA en éducation paraissait « à l’époque » pleine de promesses. Voilà qu’un mois plus tard, ChatGPT apparait déjà comme le Graal qui pourrait changer l’enseignement comme on le connait. Ok, je sais qu'on a dit la même chose lorsque les premiers microordinateurs sont débarqués dans les écoles dans les années 80. Et on a fait la même conjecture avec la calculatrice, Internet, Wikipédia, l’iPad et plus récemment, la réalité virtuelle et le métavers. La véritable révolution en éducation se fait attendre depuis longtemps. Alors, est-ce que cette fois-ci sera la bonne?
Prédire l’avenir, c’est le travail des devins. Je ne voudrais pas me mettre leur ordre professionnel à dos. Mais jamais je n’ai senti le monde de l’éducation aussi fébrile, même pas lors de l’installation des tableaux numériques interactifs (TNI) dans toutes les classes du Québec… D’une part, on s’évertue présentement à tester la bête et à lui trouver des applications pédagogiques concrètes. Si ChatGPT peut corriger des rapports de laboratoire, ce serait déjà une sacrée révolution, vous ne trouvez pas?
Par exemple, ChatGPT peut générer un texte dans un style précis pour une dictée, donner de la rétroaction individualisée à l’étudiant ou l’étudiante, créer différents types de phrases, produire un quiz de dix questions portant sur la notion de mole, générer des exercices et leurs corrigés sur la relation de Pythagore, soutenir des élèves en difficulté en leur donnant des indices ou des conseils adaptés, résumer un article, un livre ou un documentaire, concevoir un cours sur la photosynthèse, composer un courriel pour les parents ou produire une grille d’évaluation critériée. Remarquez que j’ai conjugué les verbes au présent. ChatGPT fait actuellement tout cela, en moins de 20 secondes. C’est accessible à tous, maintenant et gratuitement. Et il ne s’agit que de la version grand public. Microsoft veut l’intégrer à sa suite Office pendant que Google n’a pas vu OpenAI la dépasser par sa droite. À voir l’émoi causé en seulement deux mois, est-ce que ChatGPT pourra révolutionner l’éducation au Québec?
D’autre part, les acteurs de l’éducation cherchent à identifier les inconvénients à l’utilisation de cette IA à l’école. La principale difficulté vient du fait qu’il est extrêmement ardu de reconnaitre un texte produit par ChatGPT. Il peut adapter son langage en fonction de l’âge ou du niveau scolaire du lecteur ou de la lectrice. On peut même lui demander d’insérer des fautes d’orthographe! Le plus gros enjeu demeure donc le plagiat. Plusieurs enseignantes et enseignants en ont déjà été victimes, d’autres ne s’en sont pas encore rendu compte. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg. Des applications comme GPTZero sont développées pour reconnaitre l’IA dans un texte. Même OpenAI travaille sur une solution en ce sens. Mais on peut déjà prédire que de petits malins vont rapidement trouver un moyen de contournement. La théorie de l’évolution s’applique aussi au numérique!
Tout le monde se demande actuellement comment éviter que des étudiants et étudiantes utilisent l’IA pour faire les travaux scolaires à leur place. Jusqu’à maintenant, la meilleure réponse semble être : ne plus donner de tâches qui pourraient être réalisées par une IA. On a dit la même chose après l’arrivée de Google et de Wikipédia. En attendant, des établissements scolaires d’un peu partout dans le monde ont déjà banni le site de leurs serveurs et inscrit le plagiat par l’utilisation de ChatGPT dans leurs règlements. D’autres font carrément un retour au crayon à mine et au bon vieux papier. Qui aurait dit que l’IA nous ramènerait à l’âge de pierre! Imaginez, ChatGPT n’est disponible que depuis deux mois que déjà l’ensemble du milieu éducatif mondial est sur les dents. Pensez-vous que ChatGPT va révolutionner l’éducation?
Vous trouvez que ça va vite? Trop vite? La prochaine itération de ChatGPT est attendue à la fin de 2023. On nous promet des capacités de traitement de l’information jusqu’ici impensables. Qu’on le veuille ou non, il faudra apprendre à vivre avec l’IA. L'interdire à l’école ne fera que retarder l’inévitable. Les véritables questions à se poser sont : 1) À quoi servira l'école si une IA peut faire la tâche plus rapidement et plus efficacement qu'une personne? 2) Pourquoi une entreprise se passerait-elle de former elle-même son personnel en milieu de travail avec l’aide de l’IA plutôt que d’attendre l’obtention du diplôme? 3) Quelle valeur aura un diplôme qui n’intègre pas des compétences en IA en 2024? Voilà une réflexion dont on ne peut plus faire l’économie. C’est tout l’écosystème de l’éducation, de la formation et du travail qui sera bouleversé.
Dit comme ça, on semble se diriger droit dans le mur. Alors, que faire? D’abord, on s’informe. On peut se créer une alerte Google (son IA fera le travail pour vous!) ou réseauter, par exemple dans le groupe Facebook Chat-GPT et IA en éducation. Ensuite, comme pour Internet et les fausses nouvelles, la solution passe en partie par le développement d’un solide esprit critique permettant aux jeunes d’évaluer la valeur des réponses produites par l’IA. Parce qu’aussi surprenantes soient-elles, les réponses de ChatGPT ne sont pas toujours pertinentes. La solution passe également par l’intégration de l’IA dans les cursus scolaires. Si ChatGPT force le système d’éducation à s’adapter et à évoluer rapidement, alors l’intelligence artificielle pourrait réussir là où le microordinateur a failli. Et vous, croyez-vous que l’intelligence artificielle va réellement révolutionner le monde de l’éducation?