Caroline Cormier et Bruno Voisard, Cégep André-Laurendeau
Yvan L'Homme, Simone Têtu, Maxime Van de Putte, Judith Bouchard et Marie-Hélène Pitre, Cégep Garneau
Audrey Groleau et Sivane Hirsch, Université du Québec à Trois-Rivières
Kassandra L'Heureux, Université de Sherbrooke
Mathieu Riopel et Caroline Paquet, Cégep Garneau
Michelle Gagné, C.S.S. Marie-Victorin et Camille Turcotte, AESTQ
Geneviève Allaire-Duquette, Université de Sherbrooke
Dans un article publié au printemps dernier (Cormier et Voisard, 2020), nous vous avons présenté quelques astuces pour préparer des vidéos éducatives destinées à la classe inversée. Celle-ci consiste en une pédagogie active dans laquelle les élèves ou les étudiants et étudiantes se préparent à la maison en s’appropriant le contenu théorique – souvent fourni par le personnel enseignant en format vidéo –, puis viennent en classe pour mettre en pratique ces nouveaux apprentissages (Bergmann et Sams, 2016). La portion de travail en classe est donc essentielle à la classe inversée, qui se distingue de la formation à distance par ce contact qu’ont les étudiants et étudiantes entre eux et avec leur enseignant ou enseignante lors des périodes de cours en présentiel.
Dans le contexte actuel de pandémie, les cours en présentiel se font plus rares, et le contenu théorique est offert essentiellement en ligne, de la fin du secondaire à l’université. De plus en plus d’enseignants et d’enseignantes utilisent donc la vidéo éducative, en complément des portions de leçon offertes en vidéoconférence. Le principe derrière l’utilisation de la vidéo en formation hybride s’apparente à celui de la classe inversée : si les élèves visionnent des vidéos à la maison, il est important que, lors des périodes synchrones (en présence ou à distance), ils réinvestissent les notions vues en vidéo. C’est alors que la classe inversée atteint son objectif : on l’emploie pour libérer du temps de classe, qu’on utilise pour mettre les étudiants et étudiantes en action (Fournier St-Laurent, Normand, Bernard et al., Desrosiers, 2018).
Dans cet article, nous présentons nos réflexions au sujet de ce qu’il est recommandé de faire en classe dans une pédagogie inversée, en considérant les adaptations nécessaires au contexte de l’enseignement à distance.
Une préoccupation fréquente au sujet de la classe inversée est que les étudiants et étudiantes visionnent bien les vidéos avant de se présenter en classe. Différentes options de vérification sont possibles, par exemple l’utilisation d’une plateforme pédagogique qui fait le suivi des visionnements. On pourrait aussi utiliser le billet d’entrée (Parlons sciences, 2019) ou le just-in-time teaching (Bouffard, 2014).1 De notre côté, nous avons décidé de n’employer aucune de ces stratégies et de plutôt tabler sur la responsabilisation des élèves. L’autonomie et la capacité de responsabilisation des étudiants et étudiantes au collégial sont certainement plus grandes que celles des jeunes du secondaire. Les enseignants et enseignantes pourront décider de la meilleure façon d’implanter la classe inversée dans leur contexte particulier.
Pour encourager l’habitude de visionner les vidéos avant de venir en classe, nous nous abstenons d’y répéter intégralement la matière vue en vidéo; c’est notre principe fondateur. En effet, nous avons conclu que si nous le faisions, les élèves ne verraient plus l’utilité de visionner les vidéos. Notre discipline porte des fruits très rapidement : si certains étudiants et étudiantes n’ont pas visionné les vidéos lors de la première semaine de cours, ils constatent tout de suite qu’il leur manque des informations pour réaliser les activités en classe. Au cours suivant, ils arrivent bien préparés.
De toute façon, le fait de présenter à nouveau la matière ne permettrait pas un gain sur l’apprentissage, parce qu’on sait que les élèves apprennent plus et mieux en étant actifs en classe qu’en écoutant un cours magistral (Freeman, Eddy, McDonough et al., 2014). Ce n’est d’ailleurs pas au cours du visionnement des vidéos qu’ils réalisent les apprentissages les plus durables. La vidéo se substitue au cours magistral, pour libérer du temps de classe et éviter les présentations magistrales alors qu’on se trouve avec eux en classe (en présence ou à distance).
Nous nous contentons donc de réactiver les connaissances des étudiants et étudiantes au début des leçons en classe, puis nous les mettons rapidement en action. Les prochaines sections présentent ces deux éléments de notre dispositif didactique.
Nous réactivons les connaissances des étudiants et étudiantes en utilisant deux techniques principales que nous présentons comme des suggestions pour les pédagogues qui voudraient implanter la classe inversée.
Nos cours commencent toujours de la même façon, en posant la question suivante aux étudiants et étudiantes : « Avez-vous des questions? » Dès le début de la session, nous leur expliquons que les cours débuteront toujours de cette manière et que ce sera le moment idéal pour poser des questions sur la matière qu’ils auront apprise en vidéo. Si, au début de la session, les questions se font rares parce que le groupe n’est pas habitué à cette méthode, elles deviennent rapidement plus nombreuses et nous permettent de faire un retour sur la matière.
De nombreux outils existent pour questionner les étudiants et étudiantes en classe en les faisant voter sur leur téléphone intelligent. Parmi ceux-ci, Kahoot!, une plateforme de jeux-questionnaires en ligne, est très populaire, mais elle existe uniquement en anglais. Récemment, la plateforme belge Wooclap nous est apparue comme un meilleur choix. En plus des jeux-questionnaires, cette plateforme permet d’intégrer les questions directement dans une présentation PowerPoint ou, à l’inverse, d’intégrer notre présentation PowerPoint dans l’application en ligne. Le type de questions proposées est aussi plus varié que sur Kahoot!, et la plateforme offre notamment la possibilité de demander d’identifier un élément sur une image, ce qui est très pertinent en sciences, qu’on pense par exemple à l’anatomie (« Sur l’image suivante, où se trouve le pancréas? ») ou à la chimie (« Dans la molécule suivante, quelle liaison est la plus polaire? »). Ces questionnaires interactifs permettent de revenir sur les aspects importants qui n’auraient peut-être pas été abordés durant la période de questions. L’abonnement à Wooclap est payant pour les établissements postsecondaires et gratuit pour les écoles primaires et secondaires. Les couts de l’abonnement ont, pour nous, été défrayés par notre cégep.
Avec le temps de classe libéré par la classe inversée, nous avons décidé de nous efforcer de rendre actifs les étudiants et étudiantes et de leur fournir un maximum de rétroaction. Voici comment nous nous y sommes pris.
Nous distribuons des exercices au groupe, que nous appelons les exercices du portfolio, parce que les étudiants et étudiantes les conservent ensuite dans une chemise (le « portfolio ») qui leur sert à réviser avant les examens. Ces exercices d’application de la matière abordée en vidéo sont une occasion pour nous de circuler dans la classe, de répondre aux questions et de fournir de la rétroaction en continu. Ils nous permettent aussi de vérifier le travail individuel, puisque nous les ramassons à la fin du cours et en faisons une correction formative. Ensuite, les étudiants et étudiantes doivent faire les corrections et nous rendre leur portfolio complet et sans erreurs avant chaque examen. Ainsi, nous nous assurons que tous tiennent compte de nos commentaires. Il peut sembler lourd de faire autant de correction formative, mais cela se réalise en fait très rapidement, parce que nous indiquons simplement où se trouvent les erreurs.
L’avantage de mettre les étudiants et étudiantes en action en classe est aussi de nous permettre, en tant que pédagogues, de leur fournir une rétroaction continue pendant qu’ils travaillent. Nous sommes prêts à les aider chaque fois qu’ils rencontrent un obstacle qui les aurait peut-être découragés s’ils avaient été seuls à la maison. On connait la puissance de la rétroaction, qui doit être fréquente et dirigée sur la tâche (Hattie et Timperley, 2007), ce qui est difficile à réaliser lorsqu’on ne voit pas nos étudiants et étudiantes en action. Un argument supplémentaire en faveur de la classe inversée est justement de rentabiliser au maximum la ressource la plus précieuse dans une classe : l’enseignant ou l’enseignante (Lasry, Dugdale et Charles, 2014), qui peut justement profiter de ce temps avec le groupe pour répondre aux questions individuelles et renseigner chacun et chacune sur sa progression.
Nous avons observé que les notes finales obtenues étaient plus élevées en classe inversée que dans nos cours traditionnels (Cormier et Voisard, 2018); nous l’expliquons en partie grâce à la rétroaction que cette formule pédagogique nous permet de donner au groupe. Il est aussi possible que les étudiants et étudiantes les plus faibles effectuaient très peu de travail à l’extérieur de la classe dans nos cours traditionnels. En classe inversée, ceux-ci font peut-être seulement les exercices proposés en classe, mais cela représente pour certains plus d’exercices que ce qu’ils auraient réalisé dans un cours traditionnel.
Si les exercices du portfolio sont centraux dans notre dispositif de classe inversée, nous utilisons aussi d’autres activités, dont nous présentons ici deux exemples. D’abord, nous donnons du temps en classe pour que les étudiants et étudiantes travaillent sur les laboratoires par enquête. Dans ce type d’activité, une partie de la procédure n’est pas fournie aux étudiants et étudiantes, qui doivent la créer eux-mêmes (Chamberland, Lavoie et Marquis, 2006). Comme cette stratégie pédagogique s’inscrit dans le courant socioconstructiviste, ils doivent collaborer pour construire la solution. Le temps de classe nous manquait pour favoriser la collaboration dans le groupe lorsque nous donnions des cours traditionnels. La classe inversée nous a permis d’aménager cet espace nécessaire au développement de l’autonomie en laboratoire.
Une autre activité que nous employons est l’atelier-carrousel ou gallery walk (voir par exemple Francek, 2006). Dans ce type d’activité, six problèmes sont inscrits sur les murs de la classe (sur une affiche en l’absence de tableaux sur tous les murs); les étudiants et étudiantes, en sous-groupes, résolvent une première partie du problème, puis circulent dans la classe jusqu’au problème suivant, où ils constatent ce que le sous-groupe précédent a réalisé et où ils poursuivent la résolution du problème en réalisant la tâche suivante. Nous avons, par exemple, utilisé l’atelier-carrousel pour récapituler les notions de structure de Lewis, du modèle RPEV (répulsion des paires d’électrons de valence), de polarité et d’hybridation dans le cours de chimie générale, ainsi que les notions de synthèse dans le cours de chimie organique. Les étudiants et étudiantes développent leur esprit critique au contact du travail réalisé par le sous-groupe précédent et apprennent par les pairs. Encore une fois, cette activité n’aurait pas été possible dans notre cours traditionnel, dans lequel nous aurions manqué de temps pour la réaliser.
Pendant les sessions d’hiver et d’automne 2020, nous avons poursuivi la classe inversée, en y apportant quelques modifications. D’abord, les exercices du portfolio sont réalisés à la maison et non en classe, puisque nous n’avons pour ainsi dire plus de temps de classe, le présentiel étant réservé aux séances en laboratoire. Malgré tout, la formule reste la même : les étudiants et étudiantes obtiennent une correction formative de chaque feuille d’exercices, après nous en avoir transmis la photographie, sur la plateforme pédagogique du réseau collégial, Léa, ou dans OneNote pour la classe. De notre côté, nous annotons ces copies de façon numérique, à l’aide d’une tablette graphique.
Si nous ne pouvons actuellement pas leur fournir de la rétroaction en temps réel, nous nous assurons tout de même que les étudiants et étudiantes reçoivent nos commentaires écrits sur leur travail, pour chaque leçon. Ce suivi aide aussi à maintenir leur motivation.
La classe inversée fonctionne lorsque les apprenants et apprenantes adoptent la méthode pédagogique et acceptent ses exigences. Pour cela, il faut de la constance et de la structure. La structure est probablement plus importante que la qualité des vidéos que les étudiants et étudiantes devront regarder à la maison. La classe inversée est une méthode qui nous permet de fournir de la rétroaction en continu au groupe et qui facilite la mise en place d’une pédagogie active en classe. Ces deux retombées sont ce qui nous encourage à poursuivre notre enseignement en classe inversée, même dans le contexte actuel de cours à distance.
Bergmann, J. et Sams, A. (2016). La classe inversée. Repentigny : Reynald Goulet.
Freeman, S., Eddy, S.L., McDonough, M. et al. (2014). Active learning increases student performance in science, engineering and mathematics. Proceedings of the National Academy of Science. https://doi.org/10.1073/pnas.1319030111
Hattie, J. et Timperley, H. (2007). The power of feedback. Review of Educational Research, 77(1), 81‑112. https://doi.org/10.3102/003465430298487
Parlons sciences. (2019). Billet d’entrée. Parlons sciences. Repéré à https://parlonssciences.ca/ressources-pedagogiques/strategies-dapprentissage/billet-dentree
Spectre | Volume 50, numéro 2 | Février 2021
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