Elisabeth Guérard, AESTQ
Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke
Phylippe Laurendeau, GRICS | Rédacteur en chef de la revue Spectre
Algorithmes, dispositifs numériques, systèmes automatisés, programmation, codage, robotique, intelligence artificielle, plateformes interactives : nous sommes désormais entourés de toutes parts d’objets et de systèmes qui demandent une compréhension générale de la technologie numérique. Développer la compétence numérique chez les jeunes par l’enseignement de la programmation liée à la robotique constitue un bon point de départ pour mieux comprendre tous ces concepts. En effet, pour que les jeunes parviennent à participer en toute conscience à l’avancement des technologies numériques tout en étant stimulés, il faudrait les familiariser à l’école aux éléments de base de la programmation (Lapierre, 2018).
Cet article expose une innovation, dans une école de la Côte-Nord, en matière de robotique éducationnelle et d’intégration de la compétence numérique dans des cours de science et technologie au secondaire. Puisque le développement de nouvelles technologies numériques influence grandement l’évolution des contenus enseignés dans les différents domaines de l’éducation (MEES, 2019), leur synchronisation devient inévitable et conduit à un nouvel intérêt de recherche : la robotique éducationnelle (RE) et la pensée numérique (PN).
Cela peut conduire au développement d'un potentiel créatif, métacognitif et interdisciplinaire (Mondada et al., 2017). En raison de l’étendue qu’a pris le virage numérique dans différentes sphères et de ses impacts sur la vie quotidienne, le milieu de l’éducation cherche à intégrer la robotique et sa programmation à la formation des jeunes. Comme il y a peu d’ouvrages scientifiques en didactique sur la compétence numérique in situ, nous réalisons une recherche exploratoire, dans le cadre d’un stage postdoctoral, sur certaines façons d’aborder la programmation en contexte de coenseignement.
Dans cette optique, une nouvelle option nommée Sciences enrichies et robotique (SER) liée aux cours de Science et technologie (ST) au 1er cycle du secondaire, à l'école Jean-du-Nord de Sept-Îles, propose un arrimage de la robotique, des sciences et des technologies numériques. L’option SER est encore en phase de développement et la recherche d’exploration s'effectue par une chercheuse postdoctorale, Mme Brigitte Roy (Ph.D), et une participante coenseignante, Mme Sylvie Émond (enseignante en ST). L’étude est aussi possible grâce au soutien de la direction d’école et du CSS, ainsi qu’à l’implication de l’UQTR (2021) et de l'UQAC (2022). Nous souhaitons, par cette étude, contribuer à documenter un ensemble d’aspects liés au domaine numérique enseigné au secondaire et à vérifier s’il y a une motivation accrue de l’apprentissage, comme l’ont souligné d’autres chercheurs (Mondada et al., 2017 ; Gaudiello et Zibetti, 2019). Les détails de l’étude sur l’option SER sont à venir et les résultats serviront à mieux encadrer et à arrimer l’enseignement du numérique au primaire et au secondaire.
Le Cadre de référence de la compétence numérique du Gouvernement du Québec de 2019 présente 12 dimensions liées à la littératie numérique (figure 1, MEES, 2019). L’étude de la programmation et de la robotique de même que l’exploration d’interfaces interactives que l’on retrouve dans l’option SER sont des exemples d’initiatives en éducation qui rejoignent la plupart des dimensions de la compétence numérique.
Donnée en coenseignement pour deux périodes supplémentaires de 75 minutes ajoutées aux cours de ST réguliers, l'option SER assure un partage des tâches et une qualité augmentée du temps enseignantes-élèves lors des échanges sur les procédures de programmation et les autres dimensions de la compétence numérique à l’étude. Les nombreux bénéfices qu’offre le coenseignement (Tremblay et Granger, 2020) permettent de sécuriser les enseignantes à propos des outils numériques en perpétuelle évolution. En plus de favoriser l’inclusion scolaire et la lutte contre l’échec (Friend et Cook, 2017), le coenseignement donne plus de possibilités aux enseignantes dans les classes différenciées pour offrir un soutien de qualité aux élèves qui cheminent à leur rythme dans l’apprentissage de la programmation.
La robotique éducationnelle, comme objet d’enseignement-apprentissage, consiste à découvrir l’environnement des robots par la programmation et par la pensée algorithmique qui lui est rattachée. Cette approche pédagonumérique contribue au développement de certaines des dimensions de la compétence numérique, comme Résolution de problèmes ou Habileté technologique (MEES, 2019) dans des contextes ludiques et organisationnels (figure 2).
En situation de coenseignement ciblé, l’option SER comprend notamment une initiation à la programmation, à l’utilisation de capteurs et aux possibilités mécaniques des dispositifs de robotique LEGO EV3 et SPIKE (figures 3 et 5). Ce profil optionnel inclut un apprentissage des relations scientifiques et mathématiques avec des algorithmes simples et une étude du langage de programmation graphique de Scratch (figure 4). Les activités Scratch permettent aux jeunes de réaliser de courtes séquences animées favorisant l’apprentissage par le jeu et la programmation par blocs. Parmi les autres notions abordées dans l’option SER, on retrouve des thèmes sur l’intelligence artificielle, domaine de pointe en forte émergence au Québec comme ailleurs dans le monde, ce qui cible les dimensions Apprentissage par le numérique et Éthique informationnelle (MEES, 2019).
Les élèves sont engagés dans de nombreuses activités de programmation, de cocréation et de corédaction. Ils sont appelés à comprendre et à utiliser des langages de programmation par blocs et à réaliser des travaux en écriture collaborative dans des plateformes de partage (Lacelle et Lebrun, 2016), ce qui s'inscrit dans la dimension Collaboration (MEES, 2019). Amener les élèves à comprendre les interactions sociales en contexte numérique leur permet de développer une réflexion métacognitive sur leurs apprentissages, leurs connaissances et leur rôle dans la société (Gerbault, 2012). Avec l’option SER, ils reçoivent ainsi un bagage d’outils représentatifs pour devenir des citoyens éthiques (MEES, 2019) dans un contexte de travail et de vie en environnement numérisé.
Outre le segment robotique et sa programmation, l’option SER intègre aussi la dimension Production de contenus (MEES, 2019) par la réalisation de courtes recherches scientifiques sur des sujets que les élèves proposent, à l’aide des logiciels de présentation et d'écriture collaborative retrouvés en partie dans Office 365, dont PowerPoint, Word, OneNote et Sway. De nouvelles plateformes interactives variées telles que Genially sont aussi explorées (genial.ly/.fr). Les différentes interfaces de présentation étant encore peu connues ou maîtrisées par les jeunes du secondaire, ce segment assure la mise à jour et l’amélioration de compétences sur l’utilisation de divers organisateurs graphiques et plateformes interactives.
Encore aujourd’hui, l'expérience préalable des élèves du primaire qui font leur passage au secondaire n'est pas homogène au Québec en matière de programmation et de robotique. Quelques enseignantes du primaire tentent toutefois d’intégrer certaines bases (Giroux et al., 2018) et, d’année en année, le nombre de jeunes ayant eu un contact avec la robotique augmente. Actuellement, en première année du secondaire, à l'école concernée par l'étude, les connaissances de programmation varient beaucoup dans les classes. À travers cette réalité, il faut que les élèves puissent faire progresser leur connaissance du numérique à leur rythme afin de maintenir leur intérêt. Les inconvénients reliés aux variations de connaissances des élèves s’estompent en situation de coenseignement en raison d’un plus grand nombre d’échanges élèves-enseignant(e)s.
À l’étude, trois principales étapes en stratégie d’enseignement de la programmation sont abordées : le modelage, le séquençage et l’appropriation. Dès le primaire, mais aussi aux différents cycles du secondaire, il faut favoriser un modelage en exposant à l’écran un exemple d’une programmation simple que les jeunes vont reproduire avec (ou sans) une légère modification. Par exemple, le robot avance en ligne droite de x cm ou tourne suivant un angle Ɵ (figure 5). Le modelage représente une étape d’acquisition d’une démarche et d’une compréhension des fonctions-blocs (voir glossaire). Les élèves plus expérimentés peuvent être invités à réaliser une petite programmation personnelle que l’on peut ensuite présenter au groupe.
Vient ensuite le séquençage, qui consiste à réaliser des activités de prédiction d’évènements et de visualisation d’une séquence de résultats. L’enseignant ou l’enseignante fournit un certain nombre de blocs d’actions et l’élève regroupe les séquences qui permettront de réaliser un évènement. Dans la figure 6, on peut voir un exemple de séquence de programmation Scratch où une voiture se déplace sur une distance x en réalisant une forme géométrique.
Finalement, les situations d’appropriation sont des étapes un peu plus avancées. Les élèves sont en mesure de décoder les messages d’action qu’un logiciel envoie à un robot. Après l’apprivoisement des fonctions élargies du langage de programmation, les jeunes sont plus autonomes, réalisent des programmes plus complexes et effectuent des créations assez étonnantes sur des sujets de sciences, de mathématiques et de géologie, avec le déplacement d’un robot suivant le relief et la texture d’un sol, par exemple. Les réalisations des élèves peuvent être exposées, à l’école, dans des concours scientifiques ou de robotique.
La tenue d’un journal de bord numérique, lors des activités de programmation, est fortement conseillée en vue d'une réflexion métacognitive sur les apprentissages accomplis, même pour le personnel enseignant. Les objectifs pour les élèves, en plus du processus métacognitif déjà mentionné, sont de mieux comprendre l’importance de la précision dans le regroupement de blocs codés et de développer une autonomie personnelle en pensée informatique. Pour les enseignants et les enseignantes, l’analyse métacognitive vise à comprendre la portée des activités numériques sur leur enseignement et la mise en commun de leurs réflexions en vue de cibler et de corriger les difficultés. Au final, la robotique, la programmation et l’exploitation de plateformes interactives permettent aux élèves de se sentir en contrôle de la réalité informatique qui les entoure.
La recherche exploratoire permet de constater qu'il est désormais possible de favoriser les environnements numériques d’apprentissage dans les écoles pour mettre de l’avant l’intégration de plusieurs dimensions de la compétence numérique exposée dans le Cadre de référence (MEES, 2019).
Nous constatons aussi qu'une telle implantation implique tellement de paramètres différents qu'elle est facilitée et mieux approfondie par un travail bien appuyé en coenseignement afin de créer des conditions de gestion de classe partagée, mais aussi de favoriser un apport réciproque (Tremblay et Granger, 2020) en vue de bien comprendre et maitriser les multiples outils en évolution constante. L’intégration de la programmation et de la robotique doit se faire progressivement et les connaissances, toujours à parfaire, s’amélioreront progressivement avec les années.
Quant aux directions des écoles intéressées à entreprendre le virage numérique, elles doivent investir dans le temps à accorder aux enseignantes et aux enseignants pour que ces derniers se forment et créent une organisation numérique qui les passionne. Actuellement, la programmation et la robotique ne font pas encore partie des programmes scolaires obligatoires, mais les études portant sur des moyens d’intégrer ces notions numériques, en science et technologie notamment, sont nécessaires pour prévoir les difficultés et trouver rapidement des solutions pour faciliter la tâche au personnel enseignant motivé.
Friend, M. et Cook, L. (2017). Interactions: collaboration skills for school professionals. Pearson Education.
Gaudiello, I. et Zibetti, E. (2019). La robotique éducative en science : pourquoi et comment. Enfance, 3(3), 309-332. https://doi.org/10.3917/enf2.193.0309
Gerbault, J. (2012). Littératie numérique : les nouvelles dimensions de l’écrit au 21ième siècle. Recherches en didactique des langues et des cultures, 9(2). https://doi.org/10.4000/rdlc.3960
Giroux, P., Girard, J.-F. et Gagnon, M. (2018). La robotique pour motiver ses élèves. Revue hybride de l'éducation, 2(2), 68-77. https://doi.org/10.1522/rhe.v2i2.861
Lacelle, N. et Lebrun, M. (2016). La formation à l’écriture numérique : 20 recommandations pour passer du papier à l’écran. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, (3). https://doi.org/10.7202/1047131ar
Lapierre, H. G. (2018). Effet de la robotique éducative sur l'apprentissage et l'intérêt des élèves en Science et technologie [mémoire de maitrise inédit]. Université du Québec à Montréal.
Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. (2019). Cadre de référence de la compétence numérique. http://www.education.gouv.qc.ca/dossiers-thematiques/plan-daction-numerique/cadre-de-reference-de-la-competence-numerique/
Mondada, F., Bonani, M., Riedo, F., Briod, M., Pereyre, L., Rétornaz, P. et Magnenat, S. (2017). Bringing robotics to formal education: The Thymio Open-Source Hardware Robot. IEEE Robotics & Automation Magazine, 24(1), 77-85. https://doi.org/10.1109/MRA.2016.2636372
Tremblay, P. et Granger, N. (2020). Regards croisés sur le coenseignement en francophonie. Éducation et francophonie, 47(2), 1-8.