Elisabeth Guérard, AESTQ
Maia Morel, professeure agrégée, Université de Sherbrooke et Elizabeth Fafard, étudiante à la maitrise, Université de Sherbrooke
Camille Binggeli, Université du Québec à Trois-Rivières
Elizabeth S. Charles, Collège Dawson ; Kevin Lenton, Collège Vanier ; Michael Dugdale et Nathaniel Lasry, Collège John Abbott ; Chris Whittaker, Collège Dawson ; Rhys Adams, Collège Vanier et Chao Zhang, Université McGill
Louis Normand, conseiller pédagogique, Collège de Rosemont
Au printemps 2020, pour pallier la fermeture des écoles due à la Covid-19, nous avons mis en place une plateforme numérique d’apprentissage proposant aux familles des projets multiâges accessibles à tous. Inspirés des fondements de l’apprentissage par projets, ceux-ci ont été élaborés à partir de situations visant principalement à développer des compétences signifiantes, persistantes dans le temps (Gauthier et al., 2016) et essentielles pour réussir au 21e siècle (Scott, 2015). La plateforme numérique Écollaboration a comme visée de proposer aux familles des activités authentiques et mobilisatrices regroupées autour de sept grands thèmes : l’alimentation, les animaux, les arts et la littérature, l’environnement, les inventions et les découvertes, les personnages et les sports et la santé. Cette initiative a permis de joindre plus de 50 familles, y compris certaines faisant actuellement l’éducation à domicile. La situation ayant perduré, plusieurs familles ont reconsidéré leur choix d’envoyer leurs enfants à l’école en septembre 2020. Ces familles novices en matière d’éducation à domicile se sont affiliées à l’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED). Grâce à un partenariat avec cette association, nous avons élaboré un projet de recherche afin d’accompagner six de ces familles nouvellement inscrites à l’éducation à domicile, et ce, durant 12 semaines à l’hiver 2021. Le projet vient tout juste de se terminer et les résultats seront publiés au courant de l’année 2022. Cette étude visait à valider la pertinence de l’apprentissage par projets pour le développement des compétences métacognitives des parents et de leurs enfants. Elle cherchait aussi à aider les familles à cibler les compétences disciplinaires exigées par le Programme de formation de l’école québécoise (PFÉQ) dans les projets de notre plateforme numérique. Deux accompagnatrices, étudiantes en éducation préscolaire et primaire à l’UQAM1, étaient mandatées pour suivre trois familles chacune. Elles ont rapidement constaté que l’intégration de la science dans les projets était un défi de taille. Nous avons donc réfléchi à une démarche pour intégrer la science à l’intérieur même des projets proposés. Cet article sera l’occasion de présenter le contexte particulier de l’éducation à domicile ainsi que de définir la pédagogie par projets et la démarche de découverte active. Nous illustrerons comment intégrer les deux approches à l’aide de l’exemple d’un projet sur la plateforme Écollaboration. Enfin, nous expliquerons en quoi ces approches intégrées permettent de développer des compétences métacognitives et des savoirs en sciences.
Le choix éducatif de l’éducation à domicile permet à un parent d’enseigner à ses enfants à domicile en remplacement de la fréquentation d’un établissement scolaire (Dumond, 2019). L’éducation à domicile est en pleine croissance en ce temps de pandémie, et le nombre de familles concernées est passé de 5 900 à 12 000 entre mars 2020 et mars 2021 (Tremblay-Wragg, Viola, Dumont et Vincent, 2021). Les parents-éducateurs qui y souscrivent vivent énormément de stress et d’insécurité quant à leurs propres compétences pour mener à bien ce projet familial (Lois, 2017). Depuis 2019, le suivi plus rigoureux instauré pour l’enseignement à la maison de la part du ministère rend la tâche d’enseignement et d’évaluation plus difficile pour les parents-éducateurs qui, tout en intégrant les objets d’apprentissage disciplinaires de la progression des apprentissages du PFÉQ, veulent maintenir la réalisation de projets. En effet, les familles y voient de nombreux avantages tels que la collaboration, la créativité et les échanges intergénérationnels. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’intégrer la science dans les projets, le défi est de taille! Il en est d’ailleurs question plus bas à la section portant sur l’intégration des sciences dans les projets.
L’apprentissage par projets est une stratégie pédagogique active qui engage l’apprenant dans l’acquisition de connaissances, la construction de savoirs et le développement de compétences. Cette stratégie peut être amorcée par un adulte ou par l’apprenant lui-même, à partir de ses besoins et de ses intérêts. Un projet peut être interdisciplinaire ou non, mais, en tout temps, l’apprenant est invité à se fixer un but et à avancer à travers différentes étapes qui peuvent s’échelonner sur une longue période (Raby, 2016).
Dans le cadre de cette étude, les familles doivent choisir des projets directement sur le site ecollaboration.uqam.ca. La plateforme propose aussi une démarche qui répond aux différentes étapes du modèle d’apprentissage par projets (figure 1) :
1) AVANT TOUT : Présentation d’une amorce ou d’un élément déclencheur;
2) JE ME PRÉPARE : Planification de la collecte de données;
3) JE RÉALISE LE PROJET :
a. Collecte de données;
b. Traitement des données;
4) JE PRÉSENTE LE PROJET :
a. Communication ou partage des résultats;
b. Évaluation du projet, bilan et suites.
Comme nous l’ont précisé les familles qui font l’éducation à domicile depuis longtemps, les projets sont appréciés entre autres parce qu’ils ne sont pas limités par les horaires stricts, les espaces restreints et les ressources que l’on retrouve parfois dans une classe ou une école. Ceci rejoint les principes pédagogiques de l’apprentissage par projets (Raby, 2016). Les enfants peuvent apprendre à gérer leur temps de travail pour réaliser différentes collectes de données, les traiter à l’aide des adultes et choisir les meilleures idées pour créer une production. Accompagnés de leurs parents, ils peuvent se déplacer plus facilement, poser des questions et consulter des ressources. Ils peuvent aussi réaliser des activités qui demandent un soutien plus important. Plusieurs familles visitent les musées, les environnements naturels ou assistent à des conférences, à la recherche de l’information nécessaire à la réalisation du projet qu’elles souhaitent mener à terme.
Certains projets impliquent des notions plus complexes pour les parents qui font l’éducation à domicile. À cet égard, les activités en sciences exigent non seulement de cibler des savoirs essentiels à chaque cycle, mais aussi de connaitre et de mettre en place une démarche de découverte active. Si celle-ci n’est pas maitrisée par bon nombre d’enseignants du primaire (Conseil supérieur de l’éducation [CSÉ], 2013), on peut s’attendre à ce qu’il en soit ainsi pour les familles qui font l’éducation à domicile. Pourtant, lorsque les projets requièrent des informations scientifiques, la démarche de découverte active peut aisément s’intégrer dans la phase de collecte de données. En effet, après la prise de connaissance du projet à réaliser et la planification de son organisation, la collecte de données se réalise par la recherche d’information, notamment par la démarche de découverte active en sciences2.
L’apprentissage par la découverte développé par Bruner (1965) est utilisé pour enseigner les concepts, des règles grammaticales, des principes ou des concepts scientifiques. En sciences, la démarche s’amorce la plupart du temps par des activités d’induction où le tâtonnement, les essais et les erreurs sont permis (Thésée, 2016). Des activités de déduction sont aussi fondamentales dans cette démarche, car elles permettent d’élaborer sa propre définition et de tester ses hypothèses en généralisant les découvertes ou en repérant les variables scientifiques en jeu. Une fois les hypothèses validées, le bilan des découvertes peut être intégré dans la phase de traitement de l’information du projet et contribue à la production finale. Ainsi, la démarche de découverte active s’intègre très bien à l’apprentissage par projets, comme l’illustrent la figure 2 ainsi que l’exemple rapporté ci-après. On constate aussi, dans cette même figure, que les deux démarches ne sont pas linéaires et qu’elles exigent des allers-retours constants.
À titre d’exemple pour illustrer l’arrimage des approches ci-dessus, nous décrivons un projet tiré de la plateforme Écollaboration. Dans le projet Un abri hivernal, les familles sont invitées à observer les animaux autour de la maison et à choisir un animal en particulier. Elles doivent ensuite confectionner un abri qui lui permettrait de bien hiverner dans son environnement. Pour ce faire, les familles peuvent consulter différentes ressources sur internet et à la bibliothèque. Elles doivent tester différents matériaux qui optimiseraient les conditions d’hivernation de l’animal sélectionné. C’est à cette étape que les familles sont encouragées à réaliser, à l’aide de la démarche de découverte active, différentes expériences tirées de Découvrir les trésors de la science au gré des saisons de Serge Gagnier (classedesciences.com). Entre autres, on invite les enfants à découvrir : A) ce qui retient mieux l’air entre les plumes et le duvet; B) si la densité des fourrures a un effet sur le maintien de la chaleur; C) si la neige est un bon isolant pour protéger l’animal contre le froid; D) dans quelles conditions la laine garde la chaleur; E) si la graisse protège du froid; et F) si le vent fait perdre de la chaleur. Une fois cette démarche de découverte réalisée, les conclusions tirées des résultats (bilan) sont ainsi mobilisées pour fabriquer un abri hivernal mis à l’essai « scientifiquement ». Le bilan pourrait aussi démontrer que certaines informations sont manquantes pour la confection de l’abri hivernal. Des allers-retours entre le bilan de la démarche de découverte active et la collecte de données du projet pourraient être nécessaires. Au terme de cette vérification, les familles sont invitées à tenir un carnet d’observation de la vie autour de l’abri, à communiquer leurs résultats sous forme de baladodiffusion, de vidéo ou de livre numérique et à les publier sur le site Écollaboration.
Dewey (2018) a longtemps été le précurseur de l’idée selon laquelle, pour apprendre, il faut être actif, se confronter à des problèmes du quotidien et réaliser quelque chose de concret. Il prétend que l’école doit répondre à cette curiosité naturelle des élèves en les amenant à entreprendre des actions qui répondent à leurs questions et à leur soif d’apprendre. L’apprentissage par projets s’inspire grandement de cette idée. Centrés sur l’apprenant, les projets favorisent l’acquisition des connaissances ainsi que la capacité et la confiance à faire face aux problèmes du monde réel (Scott, 2015). Différentes recherches ont démontré que l’apprentissage par projets a des effets positifs sur le développement de compétences à communiquer, à résoudre des problèmes et à collaborer (Kokotsaki et al., 2016). De par leur nature englobante, les projets valorisent les compétences transversales ou générales de l’ordre du Apprendre à connaitre, Apprendre à faire, Apprendre à être et Apprendre à vivre ensemble. Ils visent aussi à maintenir des relations interpersonnelles positives, à encourager l’entraide et à communiquer de façon adéquate en utilisant les technologies. Pour sa part, la démarche de découverte active vise des attitudes d’exploration où la curiosité est valorisée. À travers cette démarche, l’apprenant trouve une motivation intrinsèque de par le plaisir associé à cette découverte. Les activités d’induction et de déduction obligent l’apprenant à établir un niveau de compatibilité entre ses connaissances antérieures et les nouvelles afin de restructurer le tout de façon cohérente. Il doit s’entrainer à approfondir ses idées, à les confronter à celles des autres, à ajuster ses hypothèses. Il doit communiquer ses idées clairement et avec précision et doit démontrer ses aptitudes à analyser les informations afin de proposer une solution réfléchie (Thésée, 2016). En d’autres mots, l’apprentissage par projets et la démarche de découverte active visent de nombreuses compétences du 21e siècle et facilitent la mise en œuvre de stratégies métacognitives telles que la planification, la détection de problèmes, la recherche de solutions, l’autorégulation et l’évaluation. Ces stratégies métacognitives sont essentielles à la réussite scolaire, car elles tiennent compte des contextes spécifiques de chaque situation et facilitent les transferts (Viola, 2016). En contexte d’éducation à domicile, ces stratégies ont fait l’objet d’un accompagnement autant auprès des enfants qu’auprès de leurs parents. À cet égard, des données empiriques de recherche seront disponibles sous peu dans des revues scientifiques et permettront d’alimenter les réflexions sur la pertinence de l’intégration des sciences dans les projets.
L’éducation à domicile s’ancre dans l’une des assises fondamentales de la réforme de 2001 en voulant proposer aux enfants des activités ouvertes, authentiques et signifiantes où les évènements de la vie deviennent des occasions d’apprentissage. Les projets qui y sont vécus se distinguent par leur caractère motivant, authentique, simple et collaboratif. Lorsque les résultats en sciences sont requis dans la collecte de données pour concrétiser le projet, l’approche de découverte active doit être mise en œuvre au même titre que la recherche dans diverses sources documentaires. Or, cette démarche de découverte est peu connue des familles qui font l’éducation à domicile. Conséquemment, la science se limite souvent aux activités de type « recette » ou à des recherches dans les livres ou sur Internet. Ainsi, en accompagnant les familles dans la démarche de découverte active à travers les projets, nous les incitons à participer activement à la construction de leurs savoirs, à développer des stratégies métacognitives et à découvrir le plaisir… de découvrir!
1 Sarah Proulx-Lamarre et Josée Légal.
2 Cette démarche a été adaptée de celle proposée par Éclairs de sciences (http://www.eclairsdesciences.qc.ca).
Bruner, J. S. (1965). The growth of mind. American Psychologist, 20(12), 1007.
Conseil supérieur de l’éducation. (2013). L’enseignement de la science et de la technologie au primaire et au premier cycle du secondaire. http://www.mels.gouv.qc.ca/progression/science/
Dewey, J. (2018). Démocratie et éducation, suivi de Expérience et Éducation. Armand Colin.
Dumond, M. (2019). L’apprentissage en famille : note de synthèse. Revue de sciences de l’éducation de McGill, 54(3), 566-581.
Gagnier, S. (s. d). Découvrir les trésors de la science au gré des saisons. http://www.classedesciences.com/uploads/2/4/9/4/24942478/sae_animaux_froid.pdf
Gauthier, R.-F. et Florin, A. (2016). Que doit-on apprendre à l’école? Savoirs scolaires et politique éducative. Rapport rédigé pour Terra Nova, 1-72.
Kokotsaki, D., Menzies, V. et Wiggins, A. (2016). Project-based learning: A review of the literature. Improving schools, 19(3), 267-277.
Lois, J. (2017). Homeschooling Motherhood. Dans M. Gaither (dir.), The Wiley Handbook of Home Education (p. 186-206). Hoboken, New Jersey: John Wiley & Sons, Inc.
Raby, C. (2016). Apprentissage par projets. Dans Raby, C. et Viola, S. (dir.), Modèles d’enseignement et théories d’apprentissage : de la théorie à la pratique (2e éd., p. 29-57). Les éditions CEC.
Scott, C. L. (2015). Les apprentissages de demain : quel type d’apprentissage pour le XXIe siècle? Recherche et prospective en éducation : réflexions thématiques, 14, 1-18.
Thésée, G (2016). Apprentissage par la découverte. Dans Raby, C. et Viola, S. (dir.), Modèles d’enseignement et théories d’apprentissage : de la théorie à la pratique (2e éd., p. 159-170). Les éditions CEC.
Tremblay-Wragg, E., Viola, S., Dumont, M. et Vincent, C. (2021, 3 mai). Pandémie oblige : une recherche conçue pour accompagner des familles en éducation à domicile [communication orale]. 88e congrès de l’ACFAS, en ligne, QC, Canada. https://www.acfas.ca/evenements/congres/programme/88/enjeux-recherche/4/c
Viola, S. (2016). Enseignement et l’apprentissage stratégiques. Dans Raby, C. et Viola, S. (dir.), Modèles d’enseignement et théories d’apprentissage : de la théorie à la pratique (2e éd., p. 128-150). Les éditions CEC.