Anne Roy, professeure en didactiques des mathématiques au Département des sciences de l'éducation, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Louise Lafortune, professeure émérite, UQTR, Jade Brodeur, professionnelle de recherche en sociologie, Chaire pour les femmes en sciences et en génie (CFSG), Université de Sherbrooke, Eve Langelier, professeure titulaire, Faculté de génie, Titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie, Université de Sherbrooke.
Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Alexis Legault, étudiant à la maitrise, Kara Edward, étudiante au doctorat et Adolfo Agundez Rodriguez, professeur, Université de Sherbrooke
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
Isabelle Arseneau, doctorante, Université Laval, Audrey Groleau, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières et Chantal Pouliot, Professeure, Université Laval
Maia Morel, professeure agrégée, Université de Sherbrooke et Elizabeth Fafard, étudiante à la maitrise, Université de Sherbrooke
Un faible bagage en matière d’équité sociale du personnel enseignant n’aide pas les jeunes filles à s’intéresser aux STIM. Les stéréotypes de genre véhiculés depuis quelques décennies sont d’ailleurs une des raisons du manque de filles dans plusieurs domaines en STIM (Lafortune et al., 2022 ; Loose, Belghiti-Mahut et Lafont, 2021). Des mythes et des préjugés véhiculés par le personnel enseignant contribueraient également au manque d’intérêt des filles pour les sciences et le génie. Pour encourager un enseignement des mathématiques, des sciences et de la technologie plus équitable, nous avons exploré un projet de formationii pour faire la promotion des STIM auprès des jeunes, filles et garçons, en préconisant une équité sociopédagogiqueiii pour la réussite de tous et de toutes. En s’attardant à la dimension de genre, cette formation mettait l’accent sur la perspective féministe et l’aspect réflexif de l’enseignement utilisant une approche didactique et philosophique (Roy, 2005, 2010). Le projet comportait 25 enseignantes et enseignants du secondaire provenant du Québec, du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario. Au Québec, il y avait aussi du personnel enseignant œuvrant en première année du cégep (niveau préuniversitaire, 13e et 14e année d’étude). Cette formation s’est déroulée sur une période de six semestres scolaires entre septembre 2016 et décembre 2019, en excluant les semestres d’été. Chaque nouvelle année scolaire, des personnes participantes pouvaient s’ajouter ou se retirer de la formation. Deux ans après la fin de la formation, un sondage a été réalisé afin de connaitre son impact sur les pratiques enseignantes en STIM. Dans ce texte, le cadre conceptuel et la méthodologie utilisés sont d’abord présentés et ensuite les résultats du sondage sont abordés, lesquels se déclinent en quatre catégories exprimant les facilités et les difficultés relevées dans ces pratiques.
Le concept d’équité sociopédagogique a servi de cadre conceptuel pour analyser les pratiques enseignantes des personnes participant au projet. Une équité sociopédagogique tient compte du contexte social. Les élèves, filles et garçons, sont alors considérés comme étant des êtres humains à part entière au-delà de la dimension scolaire. Le concept d’équité sociopédagogique est guidé par les six principes suivants : 1) une ouverture aux différences cognitives, métacognitives, sociales, affectives et culturelles ; 2) une considération de la diversité comme un appui à l’apprentissage ; 3) une conviction que les filles détiennent toutes les capacités nécessaires pour réussir en STIM ; 4) une remise en question des stéréotypes et des préjugés associés à la capacité des filles de réussir en STIM ; 5) un évitement de la catégorisation, de l’étiquetage et de la généralisation et 6) une ouverture à la pratique réflexive-interactive (Lafortune, 2006, 2014, 2015, 2019 ; Lafortune et Landry, 2018).
L’approche didactique et philosophique met de l’avant une pratique réflexive centrée sur des discussions pédagogiques à visée philosophique (DPVP) à propos des pratiques enseignantes. C’est dans le cadre de DPVP que les personnes participantes ont été invitées à se questionner de manière critique à propos de leurs pratiques pédagogiques afin qu’elles tiennent compte de la situation des filles dans les cours de sciences, technologies, ingénierie et mathématiques. Par exemple, les deux questions suivantes ont été soulevées dans les DPVP : 1) Est-ce que des travaux réalisés avec intégrité par des femmes en mathématiques, sciences ou technologie font l’objet de débats avec les élèves lors de leur apprentissage des STIM ? 2) Considérant le travail déjà fort exigeant dans le domaine des STIM, la charge mentale qu’engendre la gestion d’une famille, traditionnellement attribuée aux femmes, joue-t-elle sur la carrière de celles-ci ? Ces DPVP ont été réalisées de manière asynchrone en communautés virtuelles de recherche selon une démarche en trois étapes sur un cycle de trois semaines et reprises en boucle durant chaque année de formation :
1) une mise en situation publiée sur un forum ; 2) le choix d’une question à visée philosophico-pédagogique et 3) des échanges à partir de la question choisie.
Huit personnes ayant participé à la formation ont pris part au sondage. Puis trois d’entre elles ont accepté de participer à une entrevue individuelle durant l’automne 2021. Leurs disciplines respectives étaient en informatique et en génie électrique au cégep ainsi qu’en mathématiques et en sciences au secondaire.
Le sondage comportait dix questions. Ces dernières visaient à déterminer ce que les personnes participantes avaient conservé comme idées, stratégies ou adaptations dans leurs pratiques enseignantes à la suite de la formation. L’entrevue individuelle semi-dirigée a permis d’approfondir les réponses au sondage. L’analyse de contenu a servi à faire émerger la signification des énoncés du sondage et des entrevues. Un travail interjuge réalisé par trois autrices de ce texte a permis de regrouper des thèmes en quatre catégories mettant en évidence les facilités et les difficultés pouvant être vécues par les personnes participantes dans leurs pratiques enseignantes à la suite de la formation.
Dans le sondage, une majorité de personnes participantes disent utiliser des stratégies pédagogiques en lien avec la formation reçue à propos de l’équité pédagogique. Nous recensons que 75 % d’entre elles soulignent utiliser souvent ou très souvent des stratégies pédagogiques pour tenir compte de la diversité de leurs élèves comme : présenter des situations d’apprentissage inclusives visant autant la diversité de genre que la diversité culturelle ; adapter l’enseignement selon différentes situations ; favoriser l’usage de technologies en laboratoire pour que la science devienne accessible à chaque élève et réutilisable à la maison ; amorcer des discussions afin que tous et chacune expriment leurs idées.
Dans cette catégorie, l’analyse des entrevues montre que la plupart ont gardé une perception positive de cette formation favorisant l’équité sociopédagogique qui se manifeste par :
Dans le sondage, 50 % des personnes répondent avoir fait des transformations ou des adaptations dans leurs pratiques enseignantes pour intervenir de manière équitable auprès de leurs élèves. Ces pratiques consistent, entre autres, à écouter davantage le verbal et le non-verbal des élèves, à choisir des exemples en fonction de leurs intérêts et de leur culture, à prioriser des équipes mixtes dans différents projets, à proposer des situations d’apprentissages différenciées pour tenir compte de l’hétérogénéité des groupes et à diversifier les études de cas pour qu’elles soient le moins genrées possible, ce qui veut dire une plus grande conscience de la toxicité des stéréotypes rigides de genres pour différencier les femmes des hommes.
Quatre stratégies se dégagent de cette deuxième catégorie :
La troisième catégorie montre des difficultés liées à l’intégration de stratégies pédagogiques dans les domaines des STIM comme : 1) la lourdeur de la tâche enseignante où des personnes participantes voudraient bien tenir compte de l’hétérogénéité de leurs élèves, mais leur tâche est trop lourde ; 2) l’exclusivité masculine de certains groupes dans des domaines comme en technique de génie mécanique complexifie l’intégration de stratégies sociopédagogiques. Le manque de temps ou la lourdeur de la tâche sont souvent invoqués pour expliquer la non-utilisation de certaines stratégies, pourtant, plusieurs d’entre elles s’intègrent dans l’enseignement régulier et exigent seulement des ajustements dans la préparation de cours. Les plans de cours, les notes de cours ou les exemples donnés en classe peuvent être préparés dans ce sens. De plus, même en présence d’un groupe exclusivement masculin, il est profitable par exemple d’utiliser un langage épicène, car des femmes peuvent intégrer ces domaines (Lafortune et. al., 2022).
L’analyse du contenu des entrevues met en évidence que des entraves à l’équité sociopédagogique subsistent encore chez des personnes participantes. Ces entraves se manifestent principalement sous quatre formes :
À la lumière de cette analyse, vraisemblablement, la formation a permis de conscientiser plusieurs personnes participantes à une pratique enseignante dans une perspective d’équité sociopédagogique et de modifier certaines pratiques enseignantes en utilisant des stratégies favorisant l’équité sociopédagogique. Ces stratégies, bien qu’elles ne soient pas utilisées intégralement par toutes les personnes, ont des similitudes avec certains principes de l’équité sociopédagogique (Lafortune, 2006, 2014, 2015, 2019) qui consistent à :
L’analyse des données du sondage rapporte toutefois qu’à la suite de la formation, des personnes participantes trouvent encore difficile d’intégrer dans leur pratique, des stratégies sociopédagogiques d’équité, considérant la lourdeur de leur tâche enseignante et l’exclusivité masculine dans plusieurs disciplines techniques liées aux STIM. De plus, il subsiste toujours des entraves à l’équité sociopédagogique chez les personnes participantes, lesquelles se manifestent notamment par des généralisations abusives et des biais inconscients à propos de l’apprentissage des sciences chez les filles et les garçons et de la capacité cognitive des élèves issus de communautés ethniques et culturelles différentes. Ces difficultés et entraves sont également identifiées par d’autres études rapportées dans le manifeste de Lafortune, Groleau, Deschênes et 39 autres auteures (2022) comme étant un frein à un renouvèlement des pratiques enseignantes. Cela signifie que des formations sur l’équité sociopédagogique sont encore nécessaires. Qui plus est, la perspective intersectionnelle devrait être ajoutée à de futures formations de manière plus intensive pour tenter d’éradiquer les entraves qui persistent encore au sujet de l’âge des élèves et de l’origine des élèves issus de communautés culturelles différentes et autochtones, le tout dans une perspective d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI).
Lafortune, L., Groleau, A., Deschênes, C. et 39 autres auteures. (2022). Manifeste à propos des femmes en STIM : 50 textes positifs et percutants. Éditions JFD.
Lafortune, L. (2019). Equidad sociopedagógica en ciencia, tecnología, ingeniería y matemáticas (CTIM). Dans L. Lafortune, V. Páez Pérez y A. Roy (bajo la dirección), Enfoque de género para lograr más equidad (p. 91-116). Mapalé.
Lafortune, L. avec la collaboration de Lise Gervais, Anne St-Cerny, Berthe Lacharité et Danielle Fournier. (2015). Accompagnement-formation d’une pratique réflexive-interactive féministe : le cas de Relais-Femmes. Presses de l’Université du Québec.
Lafortune, L. (2014). Des perspectives pédagogiques pour plus d’équité dans l’apprentissage des STIM : des actions dans une mixité scolaire. Dans A. Roy, D. Mujawamariya et L. Lafortune (dir.), Des actions pédagogiques pour guider des filles et des femmes en STIM. Sciences, Technos, Ingénierie et Maths (p. 157-170). Presses de l’Université du Québec.
Lafortune, L. (2006). Vers une équité sociopédagogique : des élèves dans une collectivité. Dans P.-A. Doudin et L. Lafortune (dir.), Intervenir auprès d’élèves ayant des besoins particuliers. Quelle formation à l’enseignement (p. 205-223). Presses de l’Université du Québec.
Lafortune, L. et Landry, R. (2008). Vers le leadership des femmes en STIM. Une perspective d’équité sociopédagogique. Dans L. Lafortune, C. Deschênes, M.-C. Williamson et P. Provencher (dir.), Le leadership des femmes en STIM. Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques (p. 9-25). Presses de l’Université du Québec.
Loose, F., Belghiti-Mahut, S., et Lafont, A-L. (2021). L’informatique, c’est pas pour les filles! : impacts du stéréotype de genre sur celles qui choisissent des études dans ce secteur. Dans 32e Congrès de l'AGRH, Paris.
Roy, A. (2010). Vers un modèle didactique favorisant une pensée réflexive chez des étudiants-maîtres dans le domaine de l’éducation mathématique. Actes du colloque du Groupe des didacticiens des mathématiques (p. 90-99). Moncton, Canada.
Roy, A. (2005). Manifestation d'une pensée complexe chez un groupe d'étudiants-maîtres au primaire à l'occasion d'un cours de mathématiques présenté selon une approche philosophique [thèse de doctorat inédite, Université du Québec à Montréal].