Isabelle Arseneau, doctorante, Université Laval, Audrey Groleau, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières et Chantal Pouliot, Professeure, Université Laval
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Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec
Alexis Legault, étudiant à la maitrise, Kara Edward, étudiante au doctorat et Adolfo Agundez Rodriguez, professeur, Université de Sherbrooke
Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)
Isabelle Arseneau, doctorante, Université Laval, Audrey Groleau, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières et Chantal Pouliot, Professeure, Université Laval
Maia Morel, professeure agrégée, Université de Sherbrooke et Elizabeth Fafard, étudiante à la maitrise, Université de Sherbrooke
Les questions environnementales et sanitaires à teneur scientifique et technologique jalonnent notre quotidien. En effet, nulle journée ne passe sans qu’il ne soit question, à l’école ou dans les médias, de la crise climatique, de la perte de biodiversité ou de la contamination des sols, de l’air et de l’eau. Ces questions de société sont explicitement abordées dans les programmes de science et technologie de quatrième secondaire, mais elles le sont également dans les autres programmes de science du primaire au collégial. Leur enseignement vise à permettre aux jeunes de mieux comprendre l’enchevêtrement sciences-technologie-environnement-société et à les amener à développer une expertise citoyenne, qui sous-tend entre autres la construction d’opinion, la capacité d’action ainsi qu’un rapport aux savoirs et à l’expertise scientifique émancipée.
Dans le contexte de la crise environnementale et climatique actuel, de nombreux jeunes, à juste titre, ont une vision plutôt sombre de leur futur. Plusieurs se disent écoanxieux et se montrent critiques des modes de vie des générations qui les précèdent. Bien qu’elles et ils ne soient pas responsables de la crise environnementale, la lourde charge d’y faire face leur incombe. C’est probablement dans cet ordre d’idées – et dans la foulée des mobilisations entreprises par Greta Thunberg – que les jeunes, ici et ailleurs, revendiquent une éducation à l’environnement et aux changements climatiques qui aborde des solutions et des pistes d’action.
Comment faire alors pour que l’enseignement et l’apprentissage des sciences et de la technologie reflètent davantage l’état du monde et les préoccupations des jeunes à l’égard de leur futur? Comment faire pour que ces jeunes se sentent capables de participer aux débats et aux décisions sociopolitiques et qu’ils et elles décident de passer à l’action? Ces questions nous animent toutes les trois. Au fil de nos recherches et discussions, nous en sommes venues à dégager sept principes pour favoriser un enseignement des sciences et technologie critique, transformateur et qui mène à l’action sociopolitique1. Dans ce texte, nous les présentons brièvement et les illustrons par des exemples.
Ce premier principe consiste à donner l’occasion aux élèves d’identifier des causes structurelles de la crise environnementale et des effets des activités humaines sur les individus, les milieux et les sociétés. Il s’agit d’envisager les questions environnementales locales ou internationales qui jalonnent le quotidien des jeunes en mettant en exergue des choix, des décisions, des actions politiques ou industrielles, etc. Si ces questions ont inévitablement des dimensions scientifiques et technologiques, elles ne s’y restreignent pas. Elles emportent aussi avec elles des tensions, des compromis, des contraintes, etc. En d’autres mots, ce principe propose de réfléchir à la complexité de ces questions avec les jeunes afin qu’elles et ils puissent s’en saisir à titre de citoyennes et de citoyens concernés.
Par exemple, les processus menant à la modification des normes environnementales sont souvent l’objet de débats sociétaux. Récemment, le rehaussement de la norme québécoise de nickel dans l’air ambiant a été débattu2. L’étude de telles situations en classe permet de mettre en évidence l’interrelation des sciences et des technologies, d’une part, et leurs liens avec les pouvoirs politiques et économiques, d’autre part. Ainsi, il est possible d’amener les jeunes à mieux comprendre les processus servant à établir des valeurs limites et à distinguer les notions de risques (quantifiables), d’incertitudes (inconnues) et de normes (compromis entre santé des populations et économie). Il est également pertinent d’éclairer les intérêts et les rôles de divers groupes sociaux dans ces processus3.
L’étude de problématiques environnementales figure déjà dans les programmes de science et technologie, mais leur nature exacte n’est pas prescrite. Dans ces circonstances, pourquoi ne pas proposer aux élèves de s’intéresser à des situations qui les préoccupent personnellement? En effet, ces situations, parce qu’elles sont généralement complexes et contextualisées, concernent systématiquement des disciplines diverses. Une problématisation interdisciplinaire rend donc possible l’utilisation d’une variété de connaissances dans l’investigation entourant ces situations authentiques et près des jeunes.
À titre d’exemple, pensons aux élèves d’une école secondaire de la Mauricie qui ont défendu la préservation d’un milieu humide devant des élus qui souhaitaient, pour leur part, utiliser ces terrains pour agrandir un parc industriel. Les élèves, en s’appropriant une situation qui les touche de près et qui concerne au moins les sciences, l’économie et la politique, ont démontré un véritable intérêt pour cette question4.
L’exemple précédent montre bien que les jeunes sont capables d’élaborer des scénarios d’actions pertinents et de participer à des initiatives en cours dans leur communauté. Pour y parvenir, elles et ils doivent être exposés à des solutions, qui font appel à des connaissances de toutes sortes portées par des actrices et des acteurs sociaux concernés (scientifiques, citoyens, élus). Il s’agit de penser avec les jeunes, à l’école ou ailleurs, à des démarches collectives qui peuvent avoir un impact significatif sur les situations et, surtout, avoir du sens à leurs yeux.
Les lieux où se jouent les asymétries de pouvoir et de ressources sont souvent ceux où les citoyennes, les citoyens et les communautés peuvent agir sur l’environnement et la santé des populations. En rendant les situations plus symétriques, c’est-à-dire en donnant aux jeunes l’occasion de s’exprimer et d’agir sur les situations qui les touchent, nous leur donnons des occasions de développer leurs capacités à participer à des actions qui tendent vers une plus grande justice sociale et environnementale.
Ainsi, il pourrait être intéressant de discuter des cas où des groupes citoyens s’opposent à des promoteurs pour protéger des milieux naturels situés à proximité de leur milieu de vie. Par exemple, des résidentes et des résidents de Pincourt ont fait appel à une firme indépendante pour produire un rapport d’expertise dans le but de contester un projet de développement immobilier qui aurait remplacé le boisé Rousseau5, situé au cœur de leur quartier. En effet, l’étude d’impact environnemental fournie par les promoteurs du projet et utilisée par le gouvernement pour délivrer les autorisations leur semblait biaisée. Ce faisant, elles et ils sont parvenus à préserver leur boisé en démontrant sa valeur écologique élevée et sa grande diversité d’espèces botaniques, ce qu’infirmait pourtant le rapport des promoteurs.
Le développement d’un tel rapport au savoir implique de développer :
Les jeunes pourront ainsi en venir à considérer qu’ils ont un rôle à jouer quant aux changements climatiques et à la protection de l’environnement et qu’ils sont capables de s’y engager de manière pertinente. Un rapport émancipé au savoir et à l’action se développe petit à petit, chaque fois qu’on éclaire les capacités de la communauté citoyenne à prendre part aux conversations sociopolitiques, à produire des connaissances et des témoignages et à trouver des solutions. Un tel rapport au savoir pourra aussi être travaillé lorsque les élèves sont confrontés à des problèmes qui les concernent.
Par exemple, l’écriture d’une lettre collective adressée aux décideurs, qui se voit ensuite publiée dans les médias, comme celle des élèves de 4e et de 5e année d’une école de la région de Québec qui se sont inquiétés d’un déversement d’eaux usées à Montréal6, peut devenir une occasion pour les jeunes de prendre conscience que leur voix porte, que l’objet de leurs préoccupations est légitime et que les solutions qu’elles et ils proposent sont considérées comme pertinentes.
Les enfants et les adolescentes et adolescents sont des citoyennes et des citoyens à part entière. Ils sont capables de s’approprier des connaissances, de se forger une opinion et de prendre une position éclairée vis-à-vis de questions complexes. Si l’éducation sert à les préparer au futur, elle vise également à les amener à agir dès maintenant dans leur milieu, à leur échelle.
L’élève de la cinquième secondaire Marie Maltais en est un exemple éloquent. Avec son collègue Olivier Cloutier, elle a cherché à mieux comprendre le point de vue d’élèves du primaire, du secondaire et du collégial au sujet de l’éducation aux changements climatiques et à l’environnement qu’elles et ils ont reçue. Elle a travaillé à la conception d’un sondage et à son analyse, a rédigé un article s’adressant au milieu de l’enseignement des sciences et de la technologie7 pour diffuser ses résultats et a sollicité une rencontre avec le ministre de l’Éducation pour lui faire connaitre ses recommandations en vue d’une révision partielle du programme de science et technologie. Cet exemple illustre bien que les jeunes sont capables de s’informer et de prendre position. On devrait d’ailleurs les encourager à le faire et les appuyer dans leurs démarches.
Explorer des initiatives citoyennes permet de comprendre comment des personnes ont réussi à créer des réseaux d’acteurs sociaux forts, à convaincre des élus de la pertinence de leurs préoccupations et à contraindre des industriels à modifier leurs pratiques. Les jeunes gagnent à suivre le travail de citoyennes et de citoyens qui se mobilisent et contribuent à améliorer les situations.
À titre d’exemple, la Trifluvienne Christiane Bernier mène depuis plusieurs années une lutte contre l’utilisation du Bti à Trois-Rivières, un insecticide dont la municipalité se sert pour limiter la population d’insectes piqueurs et ainsi favoriser le tourisme. Or, faire en sorte qu’il y ait beaucoup moins d’insectes piqueurs dans l’environnement a des impacts délétères sur les écosystèmes. Alors que le contrat entre la ville et l’entreprise qui épand l’insecticide se terminera en 2024, Mme Bernier cherche à ce qu’il ne soit pas renouvelé. Munie d’une pétition signée par plus de 2500 personnes, elle s’est rendue au conseil municipal en février 2023 pour demander à la municipalité d’envisager des manières moins nuisibles de contrôler les inconvénients liés aux insectes piqueurs8. Par ses démarches, Mme Bernier est parvenue à maintenir une forte pression sur les élus et à diffuser son message dans les médias locaux, mais aussi dans des émissions à plus large auditoire comme La semaine verte. Si la question est toujours débattue à Trois-Rivières, des municipalités voisines ont décidé de ne plus utiliser le Bti.
Un enseignement technoscientifique plus politique et critique constitue une manière (parmi d’autres) de répondre à l’écoanxiété des jeunes. Pour ce faire, les enseignantes et enseignants pourraient faire appel à des acteurs de changements sociétaux pour venir à la rencontre des jeunes, en particulier des expertes et experts scientifiques ou des citoyens qui contribuent à la protection de l’environnement et de la santé des populations, c’est-à-dire qui s’engagent dans l’élaboration de solutions menant à la construction d’un monde plus juste et plus sain. Les enseignantes et enseignants, en s’intéressant à l’actualité et en discutant avec les élèves, réussiront à identifier des situations et problématiques pertinentes à aborder en classe. Les médias locaux, des émissions comme Découverte et La semaine verte, des groupes environnementaux et communautaires et des universitaires en réalisent déjà une veille. Enfin, il importe de garder en tête que l’enseignement, en ces temps de crise environnementale et climatique, doit être accompagné d’espoir. Cet espoir peut être entretenu par la mise en action ou par la mise en lumière de cas de mobilisations citoyennes réussies, mais il doit demeurer.
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1. Ces principes – qui ne sont ni exhaustifs ni mutuellement exclusifs – ont été présentés dans un chapitre d’ouvrage collectif intitulé Educating for the Anthropocene (Groleau, Pouliot et Arseneau, 2021). Nous remercions la maison d’édition Edward Elgar de nous avoir permis de reprendre les principes et leur description dans cet article. Notons que les références aux publications scientifiques sur lesquelles s’appuient ces principes sont détaillées dans ce chapitre.
2. Voir à cet égard l’article du journaliste Colin Côté-Paulette sur le site de Radio-Canada (2022).
3. À propos de la controverse entourant la modification à la norme de nickel dans l’air, notre chapitre dans l’État du Québec 2023 (Arseneau et Pouliot, 2022) met en évidence les capacités citoyennes de production de savoirs. Les lettres ouvertes rédigées par des groupes citoyens, comme l’exemple de ce groupe de parents (dont l’une de nous a fait partie) inquiets pour la santé de leurs enfants (Arseneau et al., 2022), montrent comment leur compréhension contextualisée de la situation contribue à problématiser les enjeux et à maintenir l’objet de leurs préoccupations dans l’agenda sociopolitique.
4. On peut entendre l’élève Alexis Roy-Letarte expliquer son point de vue et celui de ses collègues à l’émission radiophonique En direct du 21 avril 2022 (En direct - Mauricie–Centre-du-Québec, 2022).
5. Leur travail et ses résultats sont présentés dans un article de La Presse du 6 mars 2023 (Champagne, 2023), qui évoque d’autres exemples récents de situations semblables.
6. Ils et elles ont publié une lettre dans le journal Le Soleil avec l’aide de leur enseignante Justine Dion-Routhier (Les élèves de 4e-5e année de l’école Les Primevères-Jouvence et Dion-Routhier, 2016).
7. On peut lire cet article paru dans la revue Spectre (Maltais, 2022).
8. L’article de Josée Bourassa (2023) fait état des démarches de Christiane Bernier.
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Arseneau, I., Beaudry, M., Caron, M., Daignault, P., Leblanc J.-A., Michaud, É. et St-Onge, S. (2022, février). Rehaussement de la norme de nickel : des parents inquiets pour la santé de leurs enfants. Le Journal de Québec. https://www.journaldequebec.com/2022/02/17/rehaussement-de-la-norme-de-nickel-des-parents-inquiets-pour-la-sante-de-leurs-enfants
Arseneau, I. et Pouliot, C. (2022) Chapitre 4 : Agir pour la qualité de l’air, Capacités citoyennes de production de savoirs. Dans S. Larochelle et J. Guillarmou (dir.), L’état du Québec 2023 – Urgence climatique : Agir sous tous les fronts (pp 53-62). INM - Somme Toute / Le Devoir.
Bourassa, J. (2023). Plus de 2500 citoyens demandent de cesser l’épandage de Bti à Trois-Rivières. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1954374/insecticide-larvicide-biologique-bti-epandage-ville-trois-rivieres
Champagne, É.-P. (2023). Des citoyens s’arment d’études. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2023-03-06/protection-des-milieux-naturels/des-citoyens-s-arment-d-etudes.php
Côté-Paulette, C. (2022). Norme sur le nickel : le gouvernement caquiste permet cinq fois plus d’émissions. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1874252/hausse-nickel-limoilou-quebec-benoit-charrette-environnement
En direct - Mauricie–Centre-du-Québec. (2022). Carrefour 40-55 : des élèves s’opposent au projet. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/en-direct/segments/entrevue/398602/milieux-humides-parc-industriel-conseil-municipal-alexis-roy-letarte-petition
Groleau, A., Pouliot, C. et Arseneau, I. (2021). Educating for the Anthropocene. Dans Carillo, F.J. et Koch, G., Knowledge for the Anthropocene (pp 98-106). Edward Elgar.
Les élèves de 4e-5e année de l’école Les Primevères-Jouvence et Dion-Routhier, J. (2016). Des écoliers écrivent à Denis Coderre. Le Soleil. https://www.lesoleil.com/2016/01/28/des-ecoliers-ecrivent-a-denis-coderre-9267cf016dcaec3e8c8737b64f80ab95/
Maltais, M. (2022). L’éducation aux changements climatiques vue par une élève de 4e secondaire. Spectre, 51 (3), 7-18. https://www.aestq.org/fr/education-climatique-eleve
Provost, A.-M. (2022). Des jeunes se mobilisent pour qu’on parle des changements climatiques à l’école. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/societe/education/773070/environnement-des-jeunes-se-mobilisent-pour-parler-des-changements-climatiques-a-l-ecole