Louis Normand, conseiller pédagogique, Collège de Rosemont
Elisabeth Guérard, AESTQ
Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke
Phylippe Laurendeau, GRICS | Rédacteur en chef de la revue Spectre
Au cours des deux dernières décennies, plusieurs spécialistes ont publié des recherches mettant en évidence l’efficacité de l’apprentissage actif dans les domaines de sciences (Freeman et al., 2014; Michael, 2006; Prince, 2006) et plus particulièrement de la physique (Hake, 1998). Les résultats de ces recherches ont été confirmés dans le contexte du réseau collégial québécois (Charles et al., 2013; Lasry 2008). Toutefois, bon nombre de personnes enseignantes qui s’aventurent dans le monde de l’apprentissage actif obtiennent des résultats mitigés en raison d’une mauvaise compréhension des différentes méthodes en regard des contextes dans lesquels ces dernières sont utilisées.
En effet, les recherches n’ont pas encore déterminé clairement les caractéristiques essentielles d’efficacité des différentes méthodes d’apprentissage actif. Normand (2017) propose de prendre en compte le niveau d’expérience des étudiants et étudiantes avec l’apprentissage actif lorsque vient le temps de choisir une méthode. En effet, plus le niveau d’expérience avec l’apprentissage actif est élevé, plus il est possible de laisser les étudiants et étudiantes exercer un contrôle sur leur apprentissage. Prince (2010) propose un continuum basé sur la manière dont le contrôle est exercé lorsqu’une méthode d’apprentissage actif est utilisée en classe (figure 1).
Lorsque le groupe est peu familier avec l’apprentissage actif, la personne enseignante préfèrera exercer un plus grand contrôle en mettant en place des méthodes impliquant des tâches simples, de courtes durées, accompagnées de consignes très directives, notamment sur le plan des interactions entre les personnes étudiantes. Lorsque le groupe devient plus expérimenté, la personne enseignante pourra choisir des méthodes qui favorisent une plus grande autonomie : des tâches plus longues avec des interactions moins contrôlées.
Trois méthodes d’apprentissage actif, qui ont montré leur efficacité, sont couramment utilisées dans l’enseignement des sciences, notamment dans le réseau collégial. D’abord, l’enseignement entre pairs et la démonstration interactive, des méthodes dont le contrôle est davantage exercé par l’enseignant ou l’enseignante, seront décrits, puis un portrait sera brossé sur l’utilisation du tableau blanc comme exemple de méthode dont le contrôle est davantage entre les mains des personnes étudiantes. Un accent plus grand sera mis sur la dernière méthode puisqu’elle soulève des défis de mise en œuvre dans une classe.
Mieux connu sous le nom de peer instruction, l’enseignement par les pairs a été utilisé avec beaucoup de succès, particulièrement dans l’enseignement de la physique dans le contexte universitaire états-unien, mais aussi dans le contexte collégial au Québec (Bouffard, 2014; Lasry, 2008). Cette méthode met l’accent sur la compréhension des concepts. Pour vérifier la compréhension, la personne enseignante entrecoupe ses exposés de périodes de questions conceptuelles, généralement à choix multiples. Les personnes étudiantes sont d’abord invitées à répondre individuellement à une première question à l’aide d’un système de télévoteurs ou d’une plateforme de vote en ligne, ou à main levée. Si le taux de bonnes réponses est supérieur à 80 %, la question suivante est lancée ou l’exposé se poursuit. Si le taux de succès est inférieur à 80 %, les personnes sont invitées à discuter de leur réponse avec un pair puis à voter à nouveau. Si le taux de succès reste toujours inférieur au seuil, le concept peut être à nouveau enseigné.
La démonstration interactive, en anglais interactive lecture demonstration (ILD), présente un mode de fonctionnement semblable à l’enseignement entre pairs. Toutefois, le contexte est légèrement différent puisque la question porte sur le résultat d’une démonstration (Sokoloff et Thornton, 1997). Les étapes sont les suivantes :
Ces deux méthodes sont de courte durée et les interactions lors de la discussion entre les étudiantes et étudiants sont contrôlées. L’utilisation de cette méthode en classe ne nécessite pas que le groupe ait beaucoup d’expérience avec les méthodes d’apprentissage actif.
Qu’en est-il lorsque le processus cognitif visé est de plus haut niveau comme celui de la résolution de problème? Une méthode qui est de plus en plus employée dans les classes de sciences au collégial est celle du tableau blanc, connu aussi chez nos voisins états-uniens par le terme whiteboarding.
L’utilisation du tableau blanc permet de donner un peu plus de contrôle aux personnes étudiantes. Celles-ci travaillent en équipe sur une tâche, généralement plus longue et plus complexe (un problème à résoudre, un exercice à réaliser, etc.). Lors du travail en équipe, elles inscrivent le résultat de leur travail intellectuel sur un tableau blanc. Par la suite, une période de rétroaction, par la personne enseignante ou par les autres collègues, est prévue. Selon McKagan et McPadden (2017), l’intérêt d’utiliser le tableau blanc est qu’il est possible, en tout temps, de voir la progression du travail des équipes et d’assurer un soutien adapté à chacune. La personne enseignante pourra poser des questions aux membres des équipes en difficulté ou donner des indices pour les guider dans la tâche.
Plusieurs recherches sur l’enseignement des sciences ont montré l’efficacité de cette méthode (Seixas et Salgueiro da Silva, 2019; Bush et Kelly, 2004). Dans une recherche subventionnée par le Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA) sur les conditions d’efficacité des classes d’apprentissage actif, il a été conclu que l’utilisation de surfaces verticales de travail est un élément important pour favoriser l’engagement scolaire lors d’une activité (Fournier St-Laurent et al., 2018).
Toutefois, l’utilisation du tableau blanc pose un défi puisque la complexité du processus cognitif sollicité est plus élevée. Le choix de lancer les personnes étudiantes de façon autonome dans une tâche complexe peut générer des frustrations et diminuer considérablement leur motivation si ces dernières n’ont pas les connaissances antérieures, ni les stratégies, ni les habiletés pour l’exécuter (Almarode et al., 2018). Il est donc recommandé de faire appel à cette méthode dans la phase de la pratique guidée, à la suite d’un modelage des habiletés nécessaires pour réaliser la tâche, dans le cadre d’un enseignement explicite (Gauthier et al., 2013). L’utilisation d’une liste de vérification ou de questions-guides peut aider les étudiantes et étudiants dans la réalisation de la tâche. Par ailleurs, un processus cognitif plus complexe implique l’organisation d’activités qui seront de plus longue durée. En conséquence, les interactions entre les pairs, pour qu’elles soient le plus efficaces possible, doivent être gérées de façon stratégique.
Selon les besoins, la personne enseignante laissera les étudiantes et étudiants former les équipes, les formera elle-même ou le fera au hasard. Les différentes modalités de formation d’équipes comportent des avantages et des inconvénients. Pour approfondir cette matière, il est possible de consulter le livre de Mathey et Mérillou (2009).
À moins d’utiliser une structure coopérative dont les interactions sont scénarisées, par exemple, le casse-tête d’experts, l’aquarium, le graffiti circulaire, la schématisation collective, etc. (Howden et Kopiec, 2000), il est conseillé de donner un rôle à chaque membre de l’équipe pour s’assurer que toutes les personnes s’engagent dans la tâche (responsabilisation individuelle) et qu’elles contribuent au travail de l’équipe (interdépendance positive). On peut donner comme exemple le scribe (celui ou celle qui écrit au tableau), le calculateur (celui ou celle qui utilise la calculatrice), la porte-parole (celui ou celle qui peut poser des questions à l’enseignante ou à l’enseignant), etc.
Une fois la tâche complétée, les équipes sont invitées à présenter leur travail. La présentation de la production issue de la tâche devrait faire ressortir tant le résultat (la production elle-même) que le processus qui a été suivi pour réaliser la tâche (étapes, difficultés rencontrées, etc.). Le porte-parole de chaque équipe s’acquitte généralement de cette partie. Toutefois, dans certaines démarches, chaque personne peut rendre compte de son travail à l’enseignant ou à un collègue. La présentation sert un double intérêt : créer des conditions de reddition de compte et offrir à tous et chacune des occasions de recevoir de la rétroaction. McKaggan et McPadden (2017) proposent plusieurs formats dont voici les trois plus fréquents :
L’enseignement des sciences dans un contexte d’apprentissage actif peut comprendre l’utilisation de méthodes dont le contrôle est exercé davantage par la personne enseignante ou par les personnes étudiantes selon le niveau d’expérience de ces dernières. Dans ce dernier cas, l’utilisation du tableau blanc est une option prometteuse dans la mesure où la gestion des interactions prend en compte l’interdépendance positive et la responsabilisation individuelle. Un autre élément à ne pas négliger concerne la reddition de compte, c’est-à-dire, la manière dont seront présentés les résultats de la tâche.
Almarode, J.T., Fisher, D., Frey, N. et Hattie, J. (2018). Visible learning for science, Grades K-12: What works best to pptimize student learning. Corwin, 216 p.
Gauthier, C., Bissonnette, S. et Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. ERPI, 344 p.
Howden, J. et Kopiec, M. (2000). Ajouter aux compétences. Enseigner, coopérer et apprendre au postsecondaire. Chenelière Éducation, 159 p.
Mathey, E. et Mérillou, F. (2009). Travailler et faire travailler en équipe. Eyrolles, 180 p.
Bouffard, G. (2014). L’apprentissage par les pairs–L’apport d’Éric Mazur à la pédagogie. Pédagogie collégiale, 27(2), 29-33.
Bush D. et Kelly M. G. (2004). The impact of white boarding on learning by secondary school biology students. https://eric.ed.gov/?id=ED489953
Charles, E., Lasry, N. et Whittaker, C. (2013). L’adoption d’environnements sociotechnologiques comme moteur de changement pédagogique. Pédagogie collégiale, 26(3), 4-11.
Fournier St-Laurent, S., Normand, L., Bernard, S. et Desrosiers, C. (2018). Les conditions d’efficacité des classes d’apprentissage actif. Rapport de recherche PAREA. Collège Ahuntsic.
Freeman, S. et al. (2014). Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 11(23), 8410-8416.
Hake, R. R. (1998). Interactive-engagement versus traditional methods: A six-thousand-student survey of mechanics test data for introductory physics courses. American Journal of Physics, 66(1), 64-74.
Lasry, N. (2008). Une mise en œuvre de la méthode d’apprentissage par les pairs de Harvard. Pédagogie collégiale, 21(4), 21-27.
McKagan, S. et McPadden, D. (2017, 22 septembre). Best practices for whiteboarding in the physics classroom. PhysPort. https://www.physport.org/recommendations/Entry.cfm?ID=101319#:~:text=Whiteboarding%20is%20also%20a%20valuable,other%20parts%20of%20these%20methods
Michael, J. (2006). Where’s the evidence that active learning works? Advances in Physiology Education, 30(4), 159-167.
Normand, L. (2017). L’apprentissage actif, une question de risques…calculés. Pédagogie collégiale, 31(1), 5-12.
Prince, M. (2006). Does active learning work? A review of the research. Journal of Engineering Education, 93(3), 1-9.
Prince, M. (2010). An introduction to active learning for busy skeptics. https://ceat.okstate.edu/che/site_files/docs/michael-j-prince.pdf
Seixas, T. M. et Salgueiro da Silva, M. (2019). Cooperative learning with whiteboarding in an introductory physics course. West East Journal of Social Sciences, 8(1), 15-24. https://doi.org/10.36739/wejss.2019.v8.i1.8
Sokoloff, D. R. et Thornton R. K. (1997). Using interactive lecture demonstrations to create an active learning environment. The physics Teacher, 35(6), 340-347.